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Ô mon Jazz

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Pierre Voyard - Toulouse le 10 décembre 1994

Modifié le : 28 septembre, 2014 17:52

 

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Bébé, presque

J'ai 6 ans ou 7 à peine. Ce que j'aime par dessus tout, c'est les batteurs qui jouent dans les bals. Je passe des heures à les regarder jouer avec leur batterie pailletée qui brille de partout. Des fois, les batteurs ils ont des batteries nacrées, mais moi, je préfère les pailletées, ça fait plus moderne. Tous le monde les regarde les batteurs, et moi, un jour, quand je serai grand, on me regardera aussi, je serai batteur. En attendant je me contente de martyriser les casseroles abandonnées au fond du jardin de primeurs de Monsieur Luc à Espelette dans le Pays Basque. Mon frère Eric me tient une pomme d'arrosoir dans chaque main manière de figurer les cymbales. Ca ne sonne pas terrible mais tout de même ça me fait comme une batterie et j'éructe de joie. Le problème est que mes pieds de cymbales ne tiennent pas la distance et que très vite je me retrouve à ne jouer que des fûts. C'est tout de même mieux que mes débuts de chez début sur un banjo découvert dans le grenier de mes parents, je devais avoir 5 ou 6 ans, banjo dont j'avais cassé les cordes de manière à jouer sur la peau tendue... Et puis, ce fut mon premier tambour... En jouet !

Petite intervention douloureuse dans la cuisine de la maison et en cadeau de consolation devinez quoi ? Ma mère m'offre un superbe TAMBOUR en jouet. Ah, putain quel pied, un tambour avec des baguettes comme pour de vrai et puis un baudrier noir en carton bouilli avec deux tubes dorés pour y glisser les baguettes. Mais précoce comme je le suis, je ne tarde pas à trouver une chiée de défauts à ce tambour synthétique pour enfants attardés.

La peau n'est qu'une peau de fer blanc avec un son de fer blanc à faire pleurer. De plus, cette "merde" marque à chaque coup de baguette, imaginez son aspect après quelques minutes d'usage intensif. Surtout que de l'énergie, j'en ai à revendre. Je ne vous parlerai pas du rebond. Je découvre précoce ce qu'est l'amortissement. Ca rebondit comme une vieille peau de fesse qui plisse. Faut dire qu'avec les baguettes fournies, je me demande si je dois jouer du tambour ou manger du riz. Des baguettes en bois blanc, lègères et donc sans inertie. C'est amusant mais je m'en souviens comme si c'était hier. J'avais beau alors n'avoir jamais vu une vrai baguette de près, j'étais convaincu que ça ne pouvait pas ressembler à ça.

Les bals, moi ? j'adore !...

Maman, quand il y a le bal à Espelette, elle nous amène avec elle et avec Monique Luc qui danse avec son fiancé qui est mécanicien et qui joue à la pelote basque à main nue. Et même qu'après les matchs, il nous fait voir la paume de sa main qui est toute bleue, presque noire et très dure. Moi je l'admire parce je trouve qu'il est très courageux et que ça doit faire très mal.

J'aime aller au bal à cause des ampoules jaunes, vertes, blanches, orange, et surtout les rouges. Moi surtout, j'aime le rouge et, avec les basques ça tombe bien parce que eux aussi, ils aiment le rouge.
Maman elle danse le fandango avec Monique et moi, j'aime quand Monique danse avec ses chaussons comme ceux des danseuses. Monique elle n'est pas très jolie, mais elle est très jolie quand elle danse. Maman elle sait tout danser, parce que ma mère était danseuse de naissance, et que sa maman n'a pas voulu qu'elle continue. J'aime bien aussi voir jouer les joueurs de fandango, mais je trouve embêtant que les batteurs soient à moitié batteurs seulement. Ils jouent du tambour que d'une main et de l'autre, ils jouent du pipeau et moi, j'aime pas tellement le pipeau. C'est trop aigu, c'est pas joli et en plus, ça me fait mal aux oreilles.

J'aime aussi danser sur la place d'Espelette avec Monique Luc, la tête dans ses jupes fleuries et plissées et je suis drôlement fier. Mais je préfère encore danser tout seul en faisant semblant de danser avec une fille de ma taille. Moi, je trouve que je danse drôlement bien. En plus, sous les lumières, c'est amusant de danser au milieu des gens qui sont grands comme des montagnes et que les jupes des femmes, ça te chatouille le visage quand elles tournent près de toi. Mais ce que j'aime par-dessus tout, c'est les batteurs qui jouent dans les bals.

Je passe des heures à les regarder jouer avec leur batterie pailletée qui brille de partout. Des fois, les batteurs ils ont des batteries nacrées mais moi, je préfère les pailletées, ça fait plus moderne. Tout le monde les regarde les batteurs et moi, un jour, quand je serai grand, on me regardera aussi, je serai batteur.

Un taureau tout feu, tout flamme ! ...

Et puis à minuit, ils éteignent les lumières de la place et les gens reculent et les filles crient et puis il arrive, tout noir en pétant, en pétaradant, en fusant, en crachant des gerbes d'étincelles blanches qui font fermer les yeux. Et les filles, elles crient encore plus fort en courant partout de travers. Et les gens rigolent et la place est pleine de fumée blanche comme la lumière du taureau de fuego ! Comme j'aime l'odeur de cette fumée ! Moi, ça me fait peur parce que je suis sûr que les hommes qui sont dessous ne voient pas bien ce qu'ils font et ils risquent de m'écraser. Et les gens et les filles qui crient, elles ne voient pas bien non plus et ils peuvent me cogner aussi.
Quand c'est fini, quand le dernier pétard a pété, quand la dernière roue de feu ne tourne plus ou qu'elle tourne de travers en fumant, alors le taureau arrête de courir, les filles arrêtent de crier, les gens arrêtent de rire, la place devient noire de nouveau, alors, ils rallument les ampoules vertes, bleues, jaune et rouges et maman décide de rentrer...

9 ans, apprenti tambour ...

9 ans à peine et déjà RAPATRIE SANITAIRE à la suite de conflits multiples entre moi et mes bronches qui me font tousser avec un drôle de son et que ça me fait rire, mais que ça inquiète ma mère. Alors, elle m'a confié à des amis de France.

Du jour au lendemain, je suis immergé dans un village perdu de la France profonde, au pays des dentelles et des dentellières du Puy. Le Monastier, voilà un nom qu'il est joli ! Avec son vestige de château fort transformé en école communale. C'est chez ces braves gens là, madame, que j'ai découvert les plaisirs du feuilleton familial écouté religieusement chaque jour à l'heure du repas. "La Famille DURATON", le feuilleton le plus bruyant de la décennie. Putain que ça gueule dans cette émission ! Et un humour à élastique support chaussettes. Mais moi, à cet âge, j'aime comme un fou. Grâce à eux, je fais jour après jour, avec application, l'apprentissage du dur métier de futur beauf péteur à table et roteur de bierre ! Heureusement, je suis pas vraiment doué, et encore que... Mais trêve de balivernes, là n'est pas le sujet.

Et puis, j'apprends à jouer du tambour, je suis doué et j'apprends très vite. Nous allons bientôt défiler dans les rues du Monastier. Je m'y vois déjà, fier comme un "bar tabac". Mais un grand con de de gamin du village m'interpelle :

- Toi, le nouveau, tu feras semblant de jouer !

Comme quoi la connerie humaine et la méchanceté n'attendent pas obligatoirement le nombre des années.

Le monde s'écroule, mon univers très joli s'effondre, se dissout, se disloque, s'effrite, le sol m'abandonne, la terreur me broie, faire semblant de jouer, moi que les baguettes commandent, moi qui ai le rythme dans la peau, et le sang, et les os, alouette. J'en suis malade de désespoir et de colère. J'en tremble, j'en bave, j'en braie, j'en bégaie. Je cours chez le curé pour lui demander, pour le supplier, le prier les deux genoux à terre, la tête sous le bras. Mais il me rassure. Je jouerai du tambour pour de vrai dans le défilé.

Je ne vous raconte pas le défilé du quatorze Juillet. Si, je vous le raconte.
Habillé de pied sans cape du bleu de la fanfare, beau comme une sainte vierge dans sa boule à faire neiger, mon tambour rutile moins que moi. Nous défilons, mais "je défile", le visage défiguré par un sourire imbécile et éternel, tapant à qui mieux-mieux, martyrisant la peau de bête martyrisée à faire des peaux de tambour pour que des jeunes glandus de mon genre puissent jouer du tambour et défiler.
Le torse bombé comme un soldat de plomb, je défile, je défile, moi et mon tambour plus grand que moi.

Et l'heure de la buvette, cette heure glorieuse où les petits copains viennent vous voir comme une vedette. Je plastronne, mon jus d'orange qui pique à la main, le tambour rivé à ma taille, emblème de ma différence et de mon talent. Tambour que pour rien au monde je poserais à terre, pas plus que mon baudrier d'ailleurs et que ses baguettes au bout encapuchonné d'un joli dé de cuivre. J'aime bien triturer mes baguettes, ça me donne une contenance.

Ce que j'aimerai par-dessus tout... Non... Pas tout, c'est regarder les majorettes avec leurs chaussures pour faire du patin à glace...

Et les petites copines, hein ? les petites copines qui effleurent du bout des doigts la peau tendue de mon tambour, de ma virilité. Putain c'est un plaisir vrai, authentique. Je jouis debout, j'en pète d'aise et de plaisir intense. A partir d'aujourd'hui, ma vie sera une peau tendue qui sonne !

Quand le professeur joue...

Douze ans, "professeur" de tambour, déjà, dans notre petit village de Palavas-les-Flots. En fait j'en joue à peine, mais voilà, j'en joue un peu et à Palavas, dans la nouvelle fanfare il n'y a personne pour enseigner le tambour. Hors le "ra de cinq" et le "fla" je suis totalement ignare mais au pays des aveugles les borgnes sont rois.

Les cuivres de la fanfare sont prêts à jouer deux morceaux, mais les tambours, toutes jeunes recrues sont totalement incapable de jouer. On me demande donc de monter à la salle de répétition des cuivres pour les accompagner.

Ça y est, je stresse à mort et pas d'affiches sur le mur derrière lesquelles me cacher. Mon slip bat entre mes jambes comme un drapeau en berne tant ma zigounette et mes couilles de presque homme se font toutes petites. Je monte comme on monte à l'échafaud. Ils sont au moins dix ou quinze ces souffleurs de tuyaux. Il ont formé un cercle au centre de cette salle gigantesque et réverbérante comme une cathédrale désaffectée. L'angoisse m'étreint là et là. Je me meurs debout, seul au milieu du cercle terrible de mes juges. C'est solennel, c'est grandiose, je crois que je vais me pisser dessus !

- "La première" ! m'annonce comme une sentence de mort, le chef de la clique. Et j'y vais de mes... RRRANNNN, PLAN, PLAN... RRRANNN, PLAN, PLAN, et les cuivres tonitruent, les "pains" fusent de toute part, mais je tiens, mais j'assume dans ce tintamarre apocalyptique, tapant aussi fort qu'ils peuvent sonner ! A un contre quinze, je sauve l'honneur des frappeurs de peaux. Et le premier morceau est joué ! Et tous m'applaudissent, que ça mémeu et que si ça continue, je vais chialer et ce sera bien fait pour eux.

- "La polka" ! Mon morceau préféré, que presque ça swingue. J'en continue pas moins à me désagréger menu-menu. Mon cœur fait des "fla" et des "papa-maman" dans ma poitrine. Je commence à jouer, et puis ça y est, c'est reparti, les larmes ruissellent, cascadent, dégoulinent sur mon beau visage dévasté par l'émotion. Mais le pire c'est qu'elles tombent sur la peau de mon tambour qui se met à sonner mou, à jouer flou, à postillonner de partout sous la frappe de mes baguettes. Et la clique et le chef débonnaire qui me regardent avec de bons sourires que ça me fait chialer davantage et ça m'émeut encore plus et je redouble de roulements et de larmes et de hoquets éperdus à tel point que l'hystérie sonore se calme, s'atténue, se tarit petit à petit. Mon tambour à peau flasque se tarit aussi. On me console, moi le héros tout petit, ils sont finalement tous bien gentils.

Trois, quatre, c'est parti...

Quatorze ans déjà, je suis un grand garçon martyriseur de batterie et d'oreilles de voisins-cousines. Un futur grand batteur avec une batterie. Et quelle batterie ! Un tom médium à peau clouée directement sur le fût avec des palmiers en couleurs qui sonne quand il fait chaud, et qui, le reste du temps, résonne comme une peau de fesse mal tendue. Une grosse caisse blanche incrustée de nacre d'un goût à faire gerber des nouilles aux épinards, une cymbale moulée et tordue. C'est quoi, me direz-vous, une cymbale moulée ! C'est une cymbale faite au moule au lieu d'être tournée à la main et qui sonne moins bien que les entonnoirs de ma prime jeunesse. Et mes cymbales charleston, celles qui font PSSIT PSSIT avec le pied gauche quand on est droitier, et bien, je me les suis fabriqué tout seul comme un grand avec deux couvercles de grosses boîtes de NESCAFE ! Elles ont un son à se faire dessous sans baisser culotte. Mais il faut m'entendre taper pour le croire. C'est un miracle, une résurrection, une Rédemption, un lever de soleil sur le mont chauve, un coït perpétuel comme le mouvement du même nom. Déjà, le talent latent transpire au milieu de cette cacophonie rythmique à peine ordonnée. Et pourtant, le grand jour de gloire, de ma gloire est arrivé...

C'est la fête de la Mer ou du Port, et je bade comme un fou le batteur du Casino de Palavas les Flots . Je m'y vois déjà, je joue par procuration, on ne me décolle plus du bas de l'estrade. Les petites culottes de mes petites copines n'existent plus. Seul compte cet être fantastique parkinsonien des baguettes et faiseur de bruit ordonné.
Et puis, c'est l'entracte. Et moi, j'attends en rêvant au pied de cette batterie sublime, fantastique, rutilante de ses milliers de paillettes, multicolores et de ses chromes éblouissants.

"Mon Dieu, que le batteur meurt à l'instant et qu'on me de-mande de le remplacer" !

Mais il ne meurt pas, le batteur, il est très fatigué. Alors le Chef d'Orchestre demande un batteur dans la salle. Si je n'ose pas gueuler "MOI !" comme un putois atteint de délerium très épais, j'implore la clémence des DIEUX du ciel et d'ailleurs pour qu'il n'y en ait pas un autre que moi.
Mes petits copains, et mon frère gueulent comme des possédés "Lui, M'sieur, Lui, M'sieur, il sait faire de la batterie !". J'en tremble d'espoir et de terreur. Il me regarde avec ses yeux, ce con, je panique intense, le temps suspend son vol bruyant, la foule se tait telle l'arène retient son souffle à l'instant de la mise à mort, IL ME DEMANDE DE MONTER ! Oh putain, c'est pas vrai, c'est trop beau, je vais me réveiller, maman va me réveiller pour aller à l'école... Mais que non, c'est pour de vrai.
Je vous passe les "Je sais un peu jouer, mais pas beaucoup" et autre "que je me demande que si je saurais". Mais je monte, je monte pour la première fois sur un de ces podiums faiseurs de gloire qui font la différence entre ceux qui sont en haut, et ceux qui sont en bas ! ...

J'arrive à la batterie que je perçois dans un brouillard aussi beau que ceux de la guerre des étoiles, j'en tremble de partout. Que cette batterie est grande, que cette batterie est vaste.
Enfin assis, chancelant, le pied gauche jouant au métronome épileptique, j'attends, j'attends les balais à la main que commence mon instant de gloire éphémère. Je suis la Cendrillon d'une nuit qui jouerait de la batterie pour la première fois.

1.2.3 1.2.3 ! Maman ! C'est parti, et je joue TSIM BOUM BOUM... TSIM BOUM BOUM, c'est fantastique, maman, je joue pour de vrai, avec des vrais baguettes, de vrais musiciens qui sont pas sur un disque mais pour de vrai. Et mes petits copains et mes petites copines qui me regardent admiratifs et inquiets. Je joue, maman, je joue comme un professionnel du bal musette, sur des peaux tendues et des cymbales tournées, mais je m'alourdis, maman, me ramollis, me disloque, me désintègre, me dilue dans ce brouillard qui m'annihile de partout. Et le tempo ralenti, et je rame comme un fou pour rattraper les musiciens qui s'éloignent, mais plus je rame, et plus c'est mou. Les musiciens me regardent, et je regarde niaisement les musiciens que je vois flou, et... et je m'évanouis !

Ce fut une grande nuit, j'ai bien tenu deux minutes, mais deux minutes de bonheur intense et sans partage. L'avenir m'appartient... Cependant je suis un ado difficile et ma mère me confie à mon père qui vit et travaille en Afrique, à ABIDJAN...

16 ans, de l'Afrique à Toulouse ...

1960, J'ai 16 ans et demi et je rentre d'un an d'Afrique. D'Abidjan où j'ai fait mes premières armes dans un très mauvais orchestre composé de très mauvais musiciens, d'un accordéoniste libanais et d'un très mauvais saxophoniste... Nous sommes tous très mauvais finalement... Je suis cependant pris d'une frénésie de jouer insatiable. Ce sont mes premières armes sur scène, dans des bouges infâmes, des bars à putes de l'Affrique coloniale qui se libère. A la picine des Tourelles il y a un orchestre. Je trouve le batteur très mauvais, c'est dire ! Mais lui, il a une vrai batterie ! Quelle injustice, injustice qui me poursuivra toute ma vie de musicien... J'y fais un jour un remplacement sans lendemain. Si j'avais eu une vrai batterie et non pas ce clou qui ne ressemble à rien. Ma pédale charleston et mes deux couvercles de nescafé en guise de cymbales, c'est dire... Mon tom médium de douves de tonneau... C'est dire ... Ma ride est une cymbale coulée et non moulée... C'est dire... Et pourtant quelle envie de jouer... C'est dire...

Toute ma vie je vais rencontrer des batteurs super mauvais équipés d'instruments exceptionnels, le dernier en date il n'y a pas 6 mois, un papy d'orchestre musette parmi ce qui se fait de plus mauvais équipé d'une magnifique et rutilante Gretsch rouge condamnée à n'émettre que des tchac tchac poum ! tchac tchac poum pour le reste de son existence ! Aujourd'hui ça m'a fait sourire, autrefois ça me rendait malade.

Avec mon orchestre de bras cassés je ne rêve que d'un morceau, toujours le même et que j'attends tout le long de la soirée comme le messie. Il est le seul morceau de jazz que sait jouer l'accordéoniste ! "In The Mood" que nous massacrons joyeusement. Nous swingons comme 3 paquets de lessive qui auraient pris l'eau.

Rentré à Toulouse, il n'est plus question d'études laborieuses mais de devenir batteur professionnel ! Dès mon arrivée je ne rêve que de prendre des cours de batterie avec "Pierrot Rouxel" le batteur de jazz toulousain dont bien plus tard Jean Claude Biraben me racontera en pouffant dans sa barbe et sa pipe que le tom bass du Pierrot ne servait exclusivement qu'à y poser son tabac et sa pipe... Je le découvre au détour d'une soirée étudiante des Beaux Arts je crois. Je me souviens encore, la scène était dans un angle de grand escalier, je le badais d'en haut... Ca me plaît comme il joue, comme un jazzman ! Lorsque je l'écoute, je l'entends comme dans un disque. Moi, lorsque je joue, ça ne le fait jamais. J'ai beau m'appliquer, ça sonne toujours balloche, ça sonne amateur, ça sonne débutant... Que ne donnerai-je pour avoir et son son et son swing...

Je me souviens qu'afin de les durcir, je taillais les olives de mes baguettes et brûlais leurs pointes sur une plaque de gril à pain. Une fois, d'ailleurs, je ne sais ou, je me souviens avoir grillé mes baguettes sur les plaques noires et luisantes d'une cuisinière à charbon ainsi qu'enfants nous le faisions à des planchette de bois pour en faire des castagnettes d'école, castagnettes qu'on se coinçait entre l'index et le majeur et le majeur et l'annulaire. Quasiment ambidextre, j'arrivais à en jouer des deux mains.

Jusque dans mes rêves et mes cauchemars "des musiciens" me gueulent "avance ! avance !" Et je ne comprends pas ? Je pousse comme un fous mais ça "n'avance pas !" Je ne parviens à comprendre comment on peut avancer sans presser ? En fait, je ne le comprendrai que bien plus tard. Quoi qu'il en soit, gros Pierrot refuse de donner des cours à petit Pierrot. Ma mère se rabat alors sur Ray Alain dit "Skeff blize blonze", le Tarzan du rythme et son orchestre. Monsieur 800.000 Volts ! Le père 100.000 est un enfant à côté de lui. Skef ? L'homme le plus aimé des zicos du Sud-Ouest et des environs même. Skef la tendresse.

Rey Alain dit "Skef"

Il court alors des bruits incroyables à son sujet, selon lesquels il sauterait par-dessus sa batterie à la fin de ses solos et que même, un jour, il serait retombé dessus ! Moi, J'imagine ce petit bonhomme frisu en grand écart de face au dessus de ses fûts. Ce sont des gymnastiques qui pourtant ne m'impressionnent pas. Je n'ai jamais été béat d'admiration devant la virtuosité ou les jongleries. Les tambours-majorettes de la baguette comme ces gens du rock, voire même du jazz comme Lionel Hampton sont impressionnants et spectaculaires mais je ne vois pas ce que ça apporte à leur jeu, à la musique et je me dis que l'énergie et le temps qu'ils consacrent à apprendre leurs pitreries et passent à faire les clowns ils ne le consacrent pas à l'apprentissage et à l'expression de leur art. Donc, tout petit déjà, je m'en fous un peu et même complètement.

J'écoute les disques de ma mère. En fait, ça n'est qu'aujourd'hui que je réalise pleinement mon bonheur d'alors. Que je réalise pleinement combien ma mère m'a sacrifié de temps, de disques de jazz offerts et d'amour.

Il est vrai que dès que j'ai commencé à jouer en orchestre, toutes mes rentrées sont mises au pot commun. Je ne manque de rien mais n'ai pas de grandes exigences. Je joue, j'ai ma mobylette et mon copain Alain.

Les disques de ma mère, je me souviens, un solo de Zutty Singleton, je me souviens d'un disque de Jo Jones, c'est lui qui m'inculque le jeux subtil des ballais. Je me souviens d'un morceau ou il joue sur son tom bass avec ses doigts, j'ai pigé le truc et j'en joue d'instinct. Ca impressionne mon public, je fais le disque, déjà ...

Je me souviens de Take five, la grande difficulté des batteurs d'alors, ça et "le jazz et la java" ! Ces deux mesures à quatre au millieu de ces groupes de deux mesures à trois... Je me souviens que déjà je ne raffole pas des big band, du Duke comme des autres. Je suis naturellement attiré par les petites formations modernes, les trios, les quartettes, les quintettes. J'ai déjà écouté tous les Sidney Bechet, tous les Louis Amstong de ma mère sur sa, ma petite chaîne Philips à lampe que je passe mon temps à bricoler et à détruire chaque jour un peu plus. J'adore rajouter ou changer les boutons.

Ma première chaîne HI-FI

Une toute petite chaîne de 2 fois 2 watts "efficaces" avec de toutes petites lampes... Son défaut selon moi, elle ne passe pas assez les aigüs. La chaîne du pianiste Jean Pierre Guillot, (dont je parlerai plus bas) ça c'était une chaîne avec ses HP à tweeters concentriques et ses caisses en contre-plaqué épais !

Mon petit Philips est à l'ampli de puissance ce qu'est l'Ondine à la voiture de sport ! Un truc de fille ! Mais mon rêve demeure, encore et éternel ; "acheter un magnétophone"... Jeune déjà je suis atteint de boutonnite aiguë...

L'Alkazar de marseille et les Rocks Players

Mais revenons à Skef. Quelques jours plus tard, des nouvelles du sieur qui me branche sur un groupe, "Les Rock Players" ! Un festival du Twist et du Rock à "l'Alkazar de Marseille" qui pour notre rédemption à brûlé depuis. Je me souviens, Skef vends alors des livre d'occasion sur les marchés, place St Aubin peut-être ? On dit (ce "on" disait beaucoup de choses et reste toujours aussi bavard aujourd'hui) qu'il vend des livres pornos sous la table ?

Une répétition ou deux enfilée du bout des baguettes, plus préoccupé à nous faire danser le Twist ensemble qu'à nous faire jouer en place.
Inquiet et impressionné mais pas tellement.

Impression forte de jeunes branleurs qui me regardent de haut. De toutes façon ça n'est pas très important. Le principal est de danser le Twist tout en jouant. Pas vraiment évident en terme de synchronisation des gestes. Encore des gesticulades inutiles ... En fait j'ai honte et n'ai pas fini de l'avoir.

Nous devons massacrer seulement un ou deux morceaux devant un public à demi hystérique venu uniquement pour hurler et applaudir (manière de parler) Rocky Volcano en vedette que j'aperçois se signant avant de quitter sa loge... Du grand cinéma.

Son batteur est un vieux qui joue avec une batterie complète et moi comme les nains du spectacle, juste une caisse claire sur pied et une cymbale à danser le twist ! J'en pleurerais. J'en suis malade. La honte me ceint le front.

Que pleuvent les canettes de bière et les pack de Javel ! Avec nos amplis 15 Watts le son de la salle féroce nous couvre largement, ce qui n'est pas plus mal ! Des filles hirsutes se débalustrent jusqu'à la taille prêtes à atterrir sur la scène avec leur canettes à la main ! Celui qu'ils et qu'elles veulent, c'est Rocky ! Le Rocky ! The Rocky ! Nous ne sommes que de pâles pis aller ! De pâles faire-valoir ! Je jure alors que jamais plus on ne m'y prendra, que jamais plus je ne m'aventurerais dans le Yéyé ! Et 55 ans plus tard je ne m'y suis jamais plus aventuré.

De retour à Toulouse je ne sais que faire. J'ai une batterie, toujours la même, toujours aussi merdique sur laquelle jour après jour je m'exprime au troisième étage de mon HLM du 11 rue des Cèdes. Les gens supportent admirablement ma persévérance à devenir meilleur. J'ai un sens non pas inné mais inculqué "de longue" du respect des autres. Je veille à ne jamais agiter mes baguettes que lorsque la majorité des colocataires ou proprios sont d'une part, réveillés et d'autre part, au travail. Et puis, jamais plus d'une heure maximum toutes fenêtres fermées... En tout cas je le crois.

Ce dont je suis certain, c'est que durant ces années passées aux Cèdres, jamais personne ne c'est plaint. A croire que mes percus sont vivantes ou qu'ils sont sourds ou très patients. Pourtant, chaque fois que mon frère ose s'aventurer sur mes fûts ne serait-ce que quelques frappes, leurs réactions est immédiates. Cela n'est pas sans flatter mon ego démesuré... Déjà.

"Los Churumbeles" et Manolo Hernandez

Et puis un jour, toc toc ou dring dring, je ne me souviens plus, débarque un hurluberlu ne ressemblant à rien ou pas grand chose... Un air de "ET" ou sosie de Zanini.
- Bonjour, je suis Manolo Hernandez, musicien et chef d'orchestre parisien (déjà, ça en jette malgré le peu d'allure de l'homme tout petit) et je cherche un batteur.
Je ne comprends pas ? Un type de ce niveau venir voir un gamin tel que moi, ridicule à peine. Un même pas fini des baguettes, j'en reste quoi...
- Pourquoi moi ? Je sais pas si je vais savoir, j'ai jamais fait ça ? le questionne-je.
- Parce que je veux pouvoir le former moi même... m'affirme-t-il sans rire. J'en reste baba.
- Bats-moi une valse... Un paso... Un chacha... continue-t-il et je ne sais quoi encore... J'en transpire, je m'en ferais dessus si j'osais. Il écoute. Ca dure entre 10 et 20 minutes à peine et puis c'est OK, tout de suite, comme ça, sans discuter. Faut dire qu'il me propose des sommes alléchantes, "pour lui", j'imaginerai plus tard... Rendez-vous est pris et quelques dates sont annoncées à des tarifs qui me laissent rêveur. Le roi n'est pas mon cousin, mon seigneur ! ... Ce soir-là nous avons dû faire la fête ! ... J'ai 16 ans et demi et enfin ? JE SUIS UN BATTEUR PROFESSIONNEL !

Je pense que le père Manolo a bien profité de l'aubaine pendant quelques années. Je me souviens avec terreur et émotion de ses :
- Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, je suis heureux de vous présenter Pierre VOYARD, le plus jeune batteur professionnel de France qui va vous interpréter un solo de batterie sur "Caravane" !

Je me sais parti pour 7 ou 10 minutes d'apnée juvénile. Mon pied gauche tressaute sur ma pédale charleston tel un parkinsonien précoce ! J'en suis à deux doigts de l'évanouissement et de l'apoplexie, le cœur battant la chamade, cherchant fébrilement une opportune ouverture entre deux côtes afin de s'en aller voir s'il peut s'en aller battre ailleurs. Je suis subitement inondé de sueur froides de la tête aux pieds... J'ai trop chaud et je tremble. Mon pied gauche que je ne maîtrise plus tressaute gaillardement sur la charley et je pars pour le grand trou noir...

Subitement aveugle et mal-entendant, je tape comme un sourd-muet aussi fort et aussi vite que je le peux tellement convaincu que je suis mauvais et que ça se voit comme mon gros nez au milieu de ma figure, et puis surtout, obsession éternelle, faire monter la mayonnaise, faire augmenter la pression jusqu'à ce que... Explosion ultime et grand silence ! ... Comme ces solos de batterie des grands du jazz. Et le pire est que généralement ça fonctionne ! Il se fait un silence en point d'orgue et puis les gens... Le public applaudit... Et nous reprenons le thème, progressivement en un crescendo continu pour, dans un autre espace temps, parvenir enfin à la coda ! Ce qui est terrible est que lors de chaque solo réussi je me traumatise afin de savoir si je vais être capable de faire au moins aussi bien si ce n'est mieux la prochaine fois. Le syndrome de la page blanche du zicos !

C'est à cette période que je vais commencer à jouer et des tumbas et des timbales créoles. Là encore de la chance, j'ai le sens de ces outils et de ces musiques exotiques cousines du jazz.

A cette période aussi les orchestres n'ont pas de sono et cette grande responsabilité est dévolue à un sonorisateur généralement sourd et mal entendant poseur de cônes Bouyer. Ces cônes type "porte-voix" font que tous les orchestres d'alors génèrent un son de phonographe à pavillon et pour cause.

Pour microphones, quasi unique concurrent face à lui-même, le fameux Mélodium, microphone dynamique roi. Nous avons alors un peu tendance à rendre responsable ces pauvres Mélodium de la cacophonie nasillarde qui sort de ces sonorisations. Et puis sont apparus les premieres enceintes bass reflex à HP à membrane en carton, le HP moderne et d'un seul coup, malgré les Mélodium sont apparus les graves. Je me souviendrai toujours du premier bal réalisé avec un tel dispositif, une longue place bordée de platanes auxquels le sonorisateur avait accroché de gros cubes de CP de 50x60 environ. Quel son ! Le sons des bal allait radicalement changer du jour au lendemain.

Les 3 Ménestrels ou le train manqué

Un jour Manolo m'annonce que je vais devoir accompagner des vedettes d'un spectacle dont nous jouons la partie variétés. Le 3 Ménestrels ! Vedettes de la Télévision Française. Des gens en cette période ancienne déjà équipés de micros HF ! Nous n'avions alors jamais vu ça. Je débarque tremblant dans l'après-midi et me présente au pianiste, responsable de la partie musicale. Je n'en mène pas large. Lui quand il me voit, il blêmit. Il faut dire qu'à 17 ou 18 ans j'en fais 15 ou 16 à peine et encore, les jours de grande fatigue... Ils me saluent, je m'installe... Prêt, le pianiste me tend un liasse de partitions... Je me sens assez mal.
- Vous savez, je ne sais pas lire...
Le pianiste blêmit encore...
- Bon, ça n'est pas grave. Le premier morceau est un shuffle...
- Heu ... Un shuffle c'est quoi ?
Là, je crois qu'il va défaillir...
- Non, mais dites-moi juste comment ça fait, lui rétorque-je d'un ton mal assuré.
-Tchakong ! Tchakong ! Tchakong ! Tchakong !
- Ah ! c'est ça ?
- Heu... Oui ?
Et c'est parti... Il s'arrête.
- Ca va ? le questionne-je ?
- C'est très bien !
Nous tentons ce premier morceau avec les Ménestrels. A la fin, par réflexe, je relance pour les applos ... Le pianiste exulte ! Nous enfilons la répète comme des perles.

Après le spectacle, ravi, le pianiste me prend à part...
- Si tu veux monter à Paris, nous te prenons avec nous... Encore un coup je manque d'en défaillir. Ca finit par devenir une habitude...
Je pose la question à Manolo. Vous imaginez sa réponse, perdre son "plus jeune batteur professionnel de France" ? Alors je vais voir le pianiste et devinez ce que je lui réponds ?... Faut être con, non ? Finalement me suis-je trompé ? Quelques mois plus tard un des chanteurs de ce groupe vedette était abattu dans un sombre histoire d'on ne sait quoi et le trio disparait de la scène...On se console comme on peut. Fin de l'épisode...

Dans le famille "Bratti" je veux...

Je me sais mauvais et pourtant, un jour, bien plus tard à ma grande surprise, alors qu'en l'honneur de je ne sais quoi je rends visite au fils Bratti, batteur lui aussi qui force mon admiration par quelques figures de style au tambour, un type qui, "lui", travaille son instrument. Nano Bratti, le fils du "père Bratti" (décédé le 8 février 2006) que je porte encore aujourd'hui en haute estime, me déclare qu'en ces temps anciens j'étais, par quelques jeunes musiciens d'alors, considéré comme un bon batteur à voir et à entendre... Comme quoi ?... Moi qui étais insatisfait de mes "performances" aux timbales, aux tumbas ou à la batterie, et j'avais cependant bien raison.

J'aurais en fait dû jouer avec le père mais ça ne s'est jamais produit. Il est, cet homme, la terreur des musiciens d'alors par ses exigences d'absolu. Par pure technique offensive, je déclaraisà qui voulait l'entendre qu'au moindre mot de travers...

Sibra, Mobesso

Je me souviens de Sibra, trompettiste prix de Paris qui enseigne à Bayonne, un fou furieux, clown impénitent ! Je le tuerais avec une joie délectable ce jour où il ose faire le malin pendant tout mon solo de batterie, mimant un halluciné excité par mes percussions pseudo africaines, tentant de grimper à des rideaux imaginaires alors qu'à deux doigts de l'évanouissement jes suis en train "d'exécuter" "Caravane". Je me souviens de Mobesso, très bon sax et grand bricoleur devant l'éternel toujours très préoccupé par ses incisives supérieures. Son grand jeux, les mettre et les enlever ...

Ces musiques de "variétés sud-américaines" vont considérablement participer à ma culture musicale avec les chacha, bayons, patchunga et autres salsas d'avant l'heure. J'apprends chaque jour un peu plus et engrange avec peine ce "métier" dont on me rebat les oreilles... Ah ! si je pouvais être vieux... Déjà...

Que ne m'aura-t-on rabattu les oreilles avec les "avance" et les "quand tu auras du métier"... Que n'aurais-je donné pour les acquérir sur l'heure... Et pourtant des scéances comme celles-ci auraient dû me rassurer sur mon sens du métier... Quant à "avancer" ?...

La bossa nova...

Je me souviens de ce jour béni ou nous avons joué dans une grande soirée estudiantine pour les étudiants des beaux-arts ou toute autre école de médecine. Des orchestres dans tous les coins dont le nôtre... Il y a le quartette de jazz de Guy Lafitte accompagné entre autres par un batteur fou connu alors, une pointure parisienne, encore. Un grimacier... Des tics épouvantables, entre autres celui de la vache qui veut se moucher avec sa langue mais putain comme il joue ! Je le bade, je le bois jusqu'à la lie...

Il ont joué ce soir là 2 bossas ! Je l'ai vu, de mes yeux, vu ! je suis scotché ! Seulement deux ! Je n'en ai jamais joué et que très peu entendues. Je l'étudie, l'aspire, le pompe et puis la soirée a continué à se dérouler dans mon impatience de refaire ce qu'il a fait. Entre chaque morceau je me rechante le rythme. Puis vers 3h sans doute, je plie mon instrument en fredonnant toujours le chant de la batterie. Je n'aspire qu'à une chose ! Rentrer et essayer... Il est 6h du mat' et je chantonne toujours. Je ne me couche pas de la nuit. J'attends fébrilement 9h du mat. en montant ma batterie sans faire de bruit et à 9h00'01" je tenté la première bossa-nova de ma vie ! Main gauche, main droite, les pieds... La grosse caisse doublée... 10 mn plus tard je la joue sans faute... Alors cassé, épuisé, fourbu, brisé mais heureux, je vai enfin me coucher.

Musicalement parlant, cette période sera très riche d'apprentissage. Malgré une ou deux années à perdre mon temps, je dois une grande partie de ma culture musicale à Manolo et quelques émois à la jolie chanteuse devenue plus tard sa femme ... Longs trajets de retours où fourbu je m'assoupis contre elle et même une fois la tête sur ses genoux et je ne peux m'empêcher d'imaginer un duvet soyeux contre mon oreille, contre ma joue...

Et les zicos toulousains alors ?

Je me souviens aussi de ce sax qui me terrorisait, "l'inspecteur Feuillerat" qui n'a d'inspecteur que le nom, personnage impressionnant, toujours en gabardine, grande image des musiciens d'alors. Je le soupçonne d'être homosexuel, ce qu'il fait très bien semblant d'être et, lors de nos déplacements, je dors un pistolet d'alarme sous l'oreiller ! Et puis ce pianiste allumé qui s'amuse à poser un gros automatique sur le piano ! Je me souviens aussi de cette boîte homo, ma première et ma dernière. Je traverse la salle très moyennement à l'aise sous les "bonjour mon chou, et autres "salut coco" ébloui et déçu par les fausses jolies filles qui constellent le bar. Quel gâchis, j'hallucine sur leurs seins. C'est alors que je ne sais plus en quel honneur et par l'intermédiaire de qui, je vais être contacté par mes premiers vrai jazzmen.

Batteur de jazz, enfin...

De véritables allumés qui vont me faire découvrir et pratiquer mes premiers tours de roues en jazz moderne. Mes premier émois. J'entame alors une période de débauche suicidaire. Je fume (du tabac) et découvre les méfaits de cuites mémorables, mes premières vraies. J'imagine encore à cette heure que pour bien jouer le jazz, il faut fumer... Des blondes et boire... du Visqui !

Je me souviens tellement de la maisonnette de Jean-Pierre Guilhot quelque part dans Toulouse au bord de Garonne où nous nous réunissions pour des nuits s'allongeant à l'infini. Pierre Josserand (contrebasse) et prof d'université, Jean-Pierre Guilhot (Piano) un de ses aficionados et Henk Van Es (saxophoniste baryton) Hollandais amateur d'alcools forts et venus d'ailleurs, un jazzman dans le sang et puis un guitariste qui changeait de temps en temps et dont je ne me souviens pas des nom. Je découvre alors à quel point les universitaires sont les nombrils du monde. Charmants, charmeurs mais tout de même convaincus de leur supériorité, clan à part des clans. Ca me gonfle un peu mais en fait l'élite m'adopte. Moindre mal...

Lors de ces nuits d'enfer, seuls quelques amis proches des zicos, leurs femmes, leurs maîtresses, leurs concubines, leurs maris et leurs enfants composaient notre public surchoix et trié sur le volet. Je me souviens aussi que les voisins gueulent "police !" Qu'ils appellent d'ailleurs. Je joue enfin du jazz moderne comme un batteur pour de vrai ! Mon dieu qu'elle est belle la vie...

Je me souviens aussi de cuites mémorables chez Pierre qui vient d'acheter une villa du côté d'Ayguevives... Je me prends alors pour un jazzman ! Quoi que... C'est une période bénie des dieux. Et puis... L'armée.

Service militaire

Une armée sans musique et sans jazz. Ne dit-on d'ailleurs pas que "la musique" est une chose bien trop sérieuse pour qu'on la confie aux militaires ?
En 18 mois, une éternité, je ne joue en tout et pour tout qu'une fois au sapin de Noël de la caserne de Francazal. Après-midi mémorable avec un jeune trompettiste, "un type sérieux" dont je ne me souviens plus du nom. Lui et mon futur beau-frère (je ne le savais pas encore) Armand Pélissier au vibraphone.

Comme nombre de musiciens, je ferai le même et unique cauchemar pendant des années, toujours le même : On me rappelle sous les drapeaux pour faire mon service militaire et j'ai beau affirmer que je l'ai déjà fait on me rétorque que ça ne fait rien, que je vais le refaire quand même. Je me réveille toujours inondé de sueurs glacées... Un cauchemard de zicos, d'artistes.

Le Clocher de Rodez

Sorti de l'armée, le Clocher de Rodez, vieux bar de la place Jeanne d'Arc à Toulouse, le rendez-vous des musiciens d'alors à la recherche de plans... Les ballochards pur beurre. Je m'y sens plutôt mal et étranger en terre étrangère. Cinq ans dans un orchestre sans courir après le cacheton ne facilite pas les choses. Heureusement, quelques zicos me reconnaissent. Mes premières affaires sont peu reluisantes. Je suis engagé sur ma renommée acquise par mon passage chez Manolo et "Los Churumbeles". Y avoir été le Voyard batteur pose son homme.

Je me souviens d'un premier contrat avec une bande de bras cassés. Je me souviens d'un guitariste, d'un accordéoniste ? D'un type à la guitare basse peut-être... Ils sont très fiers de jouer avec un "jazzeux" et ils tiennent à me faire savoir, voir ou entendre de quoi ils sont capables... Quatre mesures plus tard, je suis terrorisé. Je ne sais plus où j'habite ? Je n'y comprends rien et fini par me dire "soit ils sont très forts et je n'y comprends rien, soit il sont très mauvais..." Devinez ?...

J'y rencontre aussi Christin et ses magnifiques et considérablement énormes voitures américaines. Sur le coffre arrière d'une seule de ses caisses il est possible d'y installer un quintette entier avec contrebasse et batterie. Il me propose une affaire dans un village de la région. Au piano, engagée comme la plupart des zicos, au pied levé, une jeune femme qui à la fin de la prestation m'invite à la suivre au Club Méditerranée. C'est Byzance ! Contrat pas vraiment attrayant mais qui, dans des conditions agréables me permettra de voir venir au moins pour 6 mois ... Faut dire que dans la merde, j'y suis. J'accepte. Ma femelle femme d'alors me déménage à Val d'Isère.

Le Club Med (Val d'Isère)

Je vais rencontrer au Club deux musiciens qui vont compter dans ma vie de zicos pro et non pro. Ils rejoignent la cohorte des Josserand, des Manolo Hernandez. Ils sont Mornan et Tony Canal.

Ils sont tous les deux des musiciens "Parisiens" ! Attention, nous ne jouons pas dans la même cour... Tous les deux ont accompagné quelques vedettes du showbizz plus ou moins de premier plan et ils se chargent de le faire savoir au petit Toulousain. Tony en particulier, se sentant un âme de gourou en sus de celle d'obsédé textuel va me faire travailler comme un malade pendant les 6 mois que durera la saison. Sur mon dos chaque seconde qui passe... Le tempo, jouer au fond, la précision, la mise en place, les nuances ! J'en chie des rondelles de chapeaux carrées. J'imagine un métronome de 1m de haut posé sur ma batterie, je ne suis plus que ce métronome vivant ! J'apprends ainsi qu'il n'y a pas que le twist dans la vie mais aussi le rythm and blues. Jolie découverte, les blues déchirants des Ray Brown, et autre Janis Joplin. J'en profite pour tomber éperduement amoureux d'une jolie infirmière du Club ...

Fin d'hiver, nous re-signons en coeur pour une nouvelle saison d'été. Corfou.
En l'honneur de cette affaire mirobolante au Club et l'affaire en question exigeant un déplacement à Corfou, j'acquiers ma première voiture. Une Renault 4L grise Renault, terne, usée à la corde qui grince, couine, brinquebale, tintinabule à la moindre aspérité sur la route. Je pars de St Gervais (Haute-Savoie) pour Brindizi, tout au fond de la botte de l'Italie (plus de 600 km) la voiture est câlée jusqu'à la lie, elle a les dents du fond qui baignent tant elle est chargée. Très vite je réalise que je suis confronté à un sérieux problème de tenue de route. Aurais-je éclaté ? Une fusée peut-être ? Je descends de la caisse, en fais le tour, tous semble bien aller pourtant. Cependant, dès que je dépasse 70 km/h il me faut les deux tiers de la chaussée tant la R4 zigzague !
Tout y passe, sur-gonfler, sous-gonfler, jusqu'au moment où j'ai l'idée d'ouvrir ma portière et de me pencher hors de ma caisse tout en roulant et je découvre que mes roues arrières ne touchent le sol qu'environ tous les mètres ou mètre cinquante ! C'est alors clair comme de l'eau de roche... Ce n'est pas d'amortisseurs dont est équipé ce véhicule mais de pompes à vélo ! La route promet d'être longue et elle le sera...

Club Med (Corfou)

Ca y est, nous sommes de vrais anciens. Val c'était déjà pas mal mais Corfou atteint des sommets de délires et de débauche. J'y verrai tout et n'importe quoi ! Même deux jolies blondes s'entregriffer et se rouler par terre pour le "play boy de la gestion" genre ; "c'est moite qui l'ai vute le premier !". Le film Les Bronzés est une gentille plaisanterie à côté de la vérité de chacun des jours qui passent.

Tony prend les gouvernes. Nouveau pianiste. Un jeune allumé de 19 ou 20 ans. Henri Giordano dit "Ficelle" en raison de sa grande taille ou de celle de son sexe ? (encore un personnage important de ma vie de musicien). C'est un sérieux loustic, un passionné, un fou furieux dont le premier et le dernier geste dans la vie chaque jour est d'allumer son tourne disques et son dernier geste, de l'éteindre. J'y entends tout ! Les meilleurs des meilleurs et j'y découvre une lumière éloignée de moi de quelques années lumières, Tony Williams dans sa période Miles et Coltrane. J'écoute aussi Thelonious Monk, Oscar Peterson, Hancock, Ron Carter et tous les autres... J'engrange, m'hyper alimente, absorbe, éponge tout ce que j'entends et toujours mon maître d'alors, Tony Williams ! La perfection faite batteur et pourtantsur les enregistrements l'enflure n'a que 18 ou 20 ans !

C'est au club que je fais ma dernière beuverie grave. Je décide un soir de "voir" ce que ça fait de jouer vraiment ivre. Nous jouons au club tous les soir et de temps en temps, après la partie "danse", nous allons jouer du jazz au club du club. C'est un peu Noël.

Soirée terminée, nous plions les clous pour nous rendre au club. Je me fais aligner 4 Ouzo sans eau sur le comptoir (genre de Ricard Grec) et les descends cul sec. Je prends la voiture et file jusqu'à la boîte située dans l'enceinte même du club. Je suis déjà bien chaud. On va voir ce qu'on va voir ... A peine dans la boîte, pendant que je monte ma batterie, de nouveau je me fais aligner 4 Ouzos que je ne déguste pas plus que les premiers. Ma batterie est heureusement juste à côté du comptoir ce qui fait que je n'ai plus qu'à m'y affaler... 3-4 et c'est parti. A chaque coup de baguette je suis convaincu de réinventer la batterie. Comme disait l'autre, "ça plane pour moi". La soirée se déroule dans un brouillard cotonneux. Je suis aux anges et entre chaque morceau je m'accroche comme je le peux à mon tom bass. C'est la grande classe...

La soirée terminée, il n'est pas question pour moi de plier la batterie et encore moins de reprendre la voiture. Ficelle, un peu moins ivre que moi se dévoue pour me ramener à la case, lui marchant devant et moi dernière la main sur son épaule. Tenant compte des zig-zag que nous faisons, le retour est beaucoup plus long que l'aller. Je vais dormir la tête sur un rouleau de PCul en guise d'oreiller à aller vomir des petits tas tout autour de la case, essayant tant bien que mal de me souvenir des divers endroits afin de ne pas m'y asseoir dedans. Ce cirque va durer une bonne partie de la nuit.

Le lendemain midi je pose la question qui tue : "Alors les gars, j'ai joué comment hier au soir ?" D'un coeur unanime ils me répondent :
- Super mauvais !
- Pas en place !
- Pas de tempo !
- Pas d'idées ! ...

Ce qu'il me disent ne me surprend qu'à moitié et je me jure bien que l'on ne m'y prendra plus.

En fait, par la suite ou même avant, jamais je n'ai rencontré de musicien capable de boire juste ce qu'il faut pour se désinhiber mais sans aller plus loin. Généralement lorsqu'on commence à boire ou à fumer on arrête toujours trop tard et après avoir été un tout petit peu meilleur, on devient vraiment pénible et mauvais.

Apprendre en dormant

J'aime mon infirmière qui m'aime beaucoup mais ne m'aime pas... Je périclite, m'amenuise, m'intéresse au yoga et puis j'écoute du jazz et le jour et la nuit et ce, tout en dormant. Sans le moindre effort conscient j'y apprends par cœur une multitude de thèmes, je connais des chorus entier sur le bout des doigts ! J'apprends à écouter les autres musiciens et non plus "que" le batteur. J'apprends par cœur et la main gauche des pianistes et leurs phrasés et les lignes de basses et les tics rythmiques des solistes, de la manière dont ils les placent sur la mesure de manière à ne plus jamais me laisser surprendre... En fait, un jour que nous jouons dans la cahute en paille de derrière la scène, je réalise brutalement qu'un plan un peu tordu me fout en l'air et que quoi que j'y fasse je ne peux revenir dans les harmonies du thème ou la mesure car, justement, je n'ai aucune idée de la structure d'un morceau de jazz, le fameux et fumeux AABA ! C'est ce qui me fait prendre le taureau par les cornes et arrêter de n'écouter que la batterie et les batteurs ...

La révélation du "AABA", Jazzman enfin !

Et puis enfin, un jour alors que j'écoute Télénius Monck en sommeillant dans ma case du Club, d'un seul coup d'un seul, la lumière, le grand jour, une déchirure éblouissante ! Ca y est, j'ai compris, j'entends et le "A", et le "A", et le "B", et le "A" ! Mais c'est tellement beau, clair, limpide, facile, comment ne l'ai-je pas entendu plus tôt ? 6 mois vont ainsi se passer au soleil en sommeil, en peine, en écoute, en ennui...

Val d'Isère et la mort - 24 avril 68

3eme saison au Club, L'ennui commence à prendre le dessus. Grave accident de voiture, trois jours dans la purée, dans un semi coma... Tout cassé, condamné à rester plusieurs semaines couché, genou déboîté, ligament arraché, fracture du bassin, cervicale touchée et j'en passe et des meilleures... Lorsque je ré-émerge, alors que je vois double en hauteur et que je pense devenir fou en raison d'importantes pertes de mémoire... Je radote en fait, je n'ai que deux idées en tête... Mon appareil photo et me faire réinstaller ma batterie à côté du lit... Mon appareil photo est mort, écrasé dans l'accident. C'est un déchirement. Ne m'avait-on pas surnommé "Pied de Nikon" tant je paradais avec ce Pentax sur la poitrine ?

A peine de retour chez ma mère 15 jours plus tard, je me fais enfin installer la batterie par mon frère Eric à côté du lit... Je suis une tortue sur le dos. Interdiction de bouger et cette batterie, là tout près que je ne puis toucher... J'en pleurerais... J'écoute Peterson... Les jours, les semaines ont passé et enfin je puis me lever... Une idée, une seule, m'asseoir sur le tabouret qui tourne... Celui sur lequel j'attrappais des kystes aux fesses à Corfou. Difficile avec mon plâtre qui me fait cuissarde, jambe gauche raide de ce carcan... Je joue enfin... Je vais jouer des jours entiers, toujours sur le même disque, Night Train d'Oscar Peterson. Ah ! Le son et le swing du batteur, tout en finesse et puis quel ping de cymbale.
Je crée un dispositif terrible qui me permet de m'enregistrer en re-re sur une piste pendant que l'autre joue le morceau. Je filtre les aigus de manière à moins entendre le batteur (caisse claire et cymbales). Lorsque je ré-écoute ces enregistrements, je joue avec Oscar ! Enfin, presque et puis un jour, le miracle ! Je SWINGUE ! Ca sonne comme le disque, comme un vrai batteur ! CA Y EST ! J'AVANCE !

Paris, pourri.

Après 6 mois chez ma mère à subir une dure rééducation grâce à laquelle je gagne degré après degré sur la pliure de mon genoux gauche, j'atteinds enfin les 90° d'angle. Le reste viendra au cours des 5 ou 6 années suivantes. Cela me permet de jouer de la batterie et c'est le principal.

je monte à Paris chez Ficelle (Giordano) qui m'éberge chez une copine qu'il saute de temps à autre allègrement à couilles que veux-tu. Je dors juste derrière un paravent et n'en perds malgré moi pas un miette... Une fois encore dans ma vie je rate une occasion et il faut être le grand con timide que je suis pour ne pas faiblir à ses avances d'une nuit... Je serais peut-être Parisien et galérien encore aujourd'hui ...

Je m'y prends comme un manche. Pendant 3 mois les ballochards de Paris vont me faire danser avec leurs promesses mais pas un seul ne me donnera ma chance et pourtant c'est Noêl, périodes de fêtes ou tout le monde travaille car après... Durs janvier et février à bouffer des oeufs et des baguettes dans mon café... Et puis un jour je craque, 20 centimes en poche je vais me poster sur l'autoroute... La deuxième voiture sera la bonne... St Gervais à nouveau.

Eric, Roma

Un mois plus tard, nouvelle parenthèse dans ma vie de musicien. Je vais vivre de dessins et de peinture pendant plusieurs mois avec Eric, mon frère que je retrouve à Rome. Je continue mes play backs sur Peterson. Putain je swingue et c'est bon... J'en profite pour faire tomber le plafond des voisins du dessous sur leur magnifique buffet Louis 16 modifié 18... Avec Eric nous tâchons de les convaincre que nous n'y sommes en fait pour rien et afin de leur démontrer la vétusté de leur revêtement nous nous cassons mutuellement des plaques entières de plâtre pourri sur la tête.

Eric qui survit en artiste peintre qui souffre du manque de tout vit avec Nino dans un grand appartement près du Colisée, encore un cas grave ce Nino. Nous formons un trio hybride. Nous produisons avec Eric et Nino démarche et vend...
Nino n'est pas notre seul et unique vendeur. Un second à l'hygiène douteuse, peu avare de ses biens, nous refile ses "morbacs" et ses infections bucco-dentaires. Ce salaud s'est vautré sur mon duvet et il a même bavé dessus. Je suis bon ce soir pour dormir à poil. Qu'à cela ne tienne.
Nous nous ruons chez la pharmacienne du coin et lui exposons notre cas sans pudeur aucune pour les chastes oreilles et sous les yeux ahuris des autres clients. Nous sommes morts de rire. Nous repartons avec notre médecine nous talquer les fesses.

Couchés sur le dos, nous tenant d'une main nous-mêmes par les chevilles comme de gros-auto bébé, nous nous talquons de l'autre. Nous en prenons ainsi plein les naseaux mais quels rires... Brun de poil et de peau, j'ai des "morbacs" jusque sur la poitrine et j'en découvre même un sous et sur mon bras ! ... Après le talcage, par centaines, les morbacs gisent les pinces en croix au fond de nos slips.

Les meilleurs choses ont une fin. Nino se réveille un jour avec d'abord des grisgris dans la bite puis, brutalement, de terribles douleurs dans le gland ! ... Maladie vénérienne grave, syphilis ! Le médecin est passé. Il en a pour plus d'un an de traitement. "Vous savez faire une piqûre ?" Nous questionne-t-il ?
- Pas de problème ! Rétorque Eric sans la moindre hésitation. En fait, le jour même alors que je sieste il me réveille...
- Pierrot ! Pierrot ! Viens ! Ca fait deux fois que j'essaye de lui faire la piqûre et je n'y arrive pas... Tu verras, c'est facile, il suffit d'avoir un bon coup de poignet. Toi, tu es batteur !
Pour moi c'est l'horreur et pourtant, j'irai ! 
...

Avec Eric, entre les séances de photos de nuit dans le Colisée Romano, dans les ruines romaines, parmi les statues décapitées, unijambistes ou manchotes. Ce sont de grandes séances de désinfection de la maison et de nos bites à l'eau de Cologne pure ! Bonheur, bonheur ! Par sécurité, Eric fout le feu à tout ce qui bouge. Ca purifie. Passe-temps encore, se faire des nouilles à toutes heures du jour et de la nuit sur le mini camping gaz qui nous revient à des fortunes, quasiment 6 à 10 fois le prix d'une 13 Kg dont nous n'avons jamais le premier centime afin de payer et la bouteille et la consigne ! Ce sont des virées invraisemblables en triporteur parmi les vieux qui essayent des dentiers d'occasion posés à même des couvertures sales au marché aux puces romain, ce sont des heures à danser des claquettes pour ne pas mourir de froid l'hiver place d'Espagne, place Navone ou ailleurs. Ce sont des heures à perte de vue à produire des pastels à l'huile sur feutre à la chaîne, production au kilomètre et à l'heure... Mais aussi, tant de souvenirs fantastiques ... 

Et puis, la tension et les risques. Nino ne fait attention à rien de ce qu'il touche. Nous sommes inquiets pour nos zigounettes et nous décidons de rentrer, lui pour Holliday on Ice et moi pour jouer dans une importante formation du sud de la France à Toulouse. Nous nous jurons nos grand dieux de nous retrouver un jour, chose que nous ne ferons pas ou, peut-être que je ne ferais pas, par manque de confiance congénital en moi.

Je rentre, nous rentrons, Eric prend le train, je m'achète une Ondine, merci maman, je charge ma batterie et trois affaires et en route pour de folles aventures... La route sera terrifiante. Je vais y exploser le moteur après mille aventures plus pénibles et détestables les unes que les autres. A Nimes, après 4 haltes et 2 démontages de carburateur en pleine campagne et nuit, l'Ondine tout pot fumant, rend l'âme. Je l'abandonne à son triste sort et repars le pouce en l'air après une nuit de routes infernales et de soubressauts erratiques de mécanique agonisante. Traversée de Montpellier à pieds, un premier puis un second bus et le reste le pouce en l'air, à nouveau.

Chez Sentimental Trumpet

Quelques 15h plus tard j'échoue chez mon beau-frère, épuisé mais heureux. Juste un repas sur le pouce et je reprends la route pour le "Sentimental Trumpette". 3/4 d'heure de discussions et d'échanges plus tard, je fais partie de l'équipe. Il ne me reste plus qu'à retourner chemin faisant, récupérer ma batterie et mes quelques affaires dans mon épave. L'aller sera difficile, le retour, un cauchemar, Armand, mon beauf ayant refusé de me laisser condiuire à l'aller, tombe de sommeil au retour. Qui plus est, à chaque cahot les phares de la 2 CV éclairent un coup le ciel, un coup à 5m à peine devant le capot de l'icelle. Je vis un des pires cauchemars de ma vie. Je louche, je vois double un coup oui, un coup non et je roule en me filant des claques sur les cuisses. J'aurai parcouru 900 km environ sans dormir au volant de deux poubelles...

Quelques jours plus tard, première répétition. Il est de notoriété publique que le "Sentimental" est un des orchestre si ce n'est l'orchestre le plus coté du Sud-Ouest. Comme d'hab' je sévis sur une batterie merdique. Voilà un an que je n'ai que très peu touché l'instrument. Je n'essaye pas de briller mais simplement d'assurer. L'orchestre est pratiquement remis à plat. Grande épuration de printemps. Y apparaissent des gens comme Jean-Louis Laclavère, Coco Fourcade, Bijardel dit La Belette, Nounours dit Nounours. Pour la grande majorité, de bons ou très bons musiciens. Les jazzeux du groupe sont sans contestation, Jean-Louis et la Belette, ce dernier s'aventurant pour le plus souvent en des expériences jazzistiques osées. Nous sommes plus sur la même longueur d'onde avec un garçon comme Jean-Louis avec lequel en sus d'avoir un goût identique, je partage l'âge. Cependant, durant cette première année je n'aurai, tant notre carnet est plein, que peu l'occasion de faire du jazz. Les sorties sont très fatiguantes pour qui veut s'y investir et je m'y investis pleinement. C'est alors que survint l'accident tragique dans lequel mon beau-frère Armand perdit la vie. Nous revenions de bretagne avec le Sentimental et étions en rade sur la route du retour pour cause de panne impromptue. Nous allions passer à table quand Paul me prend par l'épaule et me dit tout de go des larmes plein les yeux : "Pierre, il faut être courrageux, Micky est morte !" Ma soeur Micky ! le monde s'écroule. Puis il se reprend instantanément : "Non ! Pas Micky, son mari Armand". Du coup, le fossé se comble brutalement comme si ça n'était plus aussi grave. Alors le calvaire commence. La traversée de la France d'Ouest en Est par son travers. Je laisse l'orchestre en vrac sur la route. Il n'y existe pas de moyens de communication et une fois encore dans ma vie je suis condamné au pouce en l'air et à la communion train, bus et train que j'enchaînerai avec un trajet St Gervais Toulouse au volant de la Simca de Micky afin de la descendre à Toulouse pour l'enterrement d'Armand. Combien la route en France et dans le monde aura-t-elle tué de musiciens ?

C'est durant ce trajet que je vais décider avec elle de mettre fin momentanément à mon rapport à la musique pour entamer une page de photographie. Cette année ou année et demi chez Paul m'aura une fois de plus affirmé en tant que musicien capable un peu plus de parler de précision, de nuances et de tempo en connaissance de cause. D'être, selon une déclaration de Paul un jour," Voyard n'est pas un batteur mais un musicien". Le plus beau compliment je crois que l'on m'ait fait de ma vie de musicien.

Mick et ses Boy's

J'entame donc une nouvelle vie, de nouvelles amours et de nouveaux enrichissements qui tous le seront indirectement au service de la musique et du jazz même si ça ne ressort que bien plus tard. Et puis à force, cette rupture avec la musique et le jazz va finir par me peser. Commencera alors ma période Mick et ses Boys à la musique bien moins dérisoire que ne le laisserait supposer le nom.

Ma venue dans le groupe va nous permettre d'oser un répertoire de plus en plus pointu, complexe et sophistiqué. Le Mick et ses Boy's est un orchestre qui tourne et sonne d'enfer. C'est Rock, Jazz Rock et Variétés. Une fois encore je mets toute mon énergie à travailler et la mise en place et les nuances et la précision et le tempo et le swing. Et puis un jour, un courrier de Paul, "Je veux monter un studio, veux-tu le faire avec moi ?". Ce courrier signera définitivement mon retour à Toulouse. Ca n'est pas sans regrets que je quitte et la Haute Savoie et ma famille et le groupe.

Chez Paul à nouveau

Revenu à Toulouse, je retrouve mon ami Paul Capdevielle et nous commençons la construction du Studio de Chantaconia. Belle épopée, tout y est à inventer. Il n'existe pratiquement aucune littérature en Français sur la conception des studios d'enregistrement. Je passe donc mon temps à réinventer le fil à couper le beurre. Ca avance et même pas trop mal. Lorsque je regarde ce travail aujourd'hui avec le recul, je peux m'enorgueillir de n'avoir fait que 2 erreurs dans sa conception. D'une part le revêtement et d'autre part la première disposition de la cabine de son.

Le studio remplit tant bien que mal son office et nous effectuons toutes les maquettes et quelques disques 33T/mn de Paul mais pas que. Nous y effectuons des maquettes pour quelques chanteurs et musiciens et quelques 33T/mn allant de l'Occitan en passant par la Variété et le Jazz Rock pour un groupe comme Potempkine. Mais aussi et pendant ce temps je vis également de photos pour le journal "Spécial Triplet" de Claude Bernardini et de Musette avec l'orchestre Bernardini, le même, au sein duquel nous retrouverons des gens comme JL Laclavère au sax et flûte, comme Serge Guirao au chant et à la guitare basse, comme la chanteuse... et d'un guitariste dont je ne me souviens du nom. Ce fut un joli petit orchestre musette composé de bons musiciens. C'est aussi à cette période bénie des dieux que j'ai le plus pratiqué le jazz.

Jazz à foison et autres Pharaon's stories

J'ai beaucoup de souvenirs plus ou moins flous et entremêlés concernant les années folles des "Petit Bedon" et autre "Pharaon". Mes multiples expériences avec des musiciens comme le jeune pianiste italien "Stéphane ?" qui jouait tout le répertoire de Thélénious Monk et qui a disparu assez rapidement après être monté à Paris. Le troisième du trio était alors soit JC Birraben ou Cattoen. Des sets étonnants avec des musiciens comme le saxophoniste Claude Tissendier aujourd'hui à Paris depuis plus de 20 ans mais aussi Jean-Claude Birraben puis un peu plus tard Pierre Abbo à la guitare, période du quartet Jazz Quatre puis du trio Boomerang. Des musiciens comme Jean-Baptiste Mira, trompettiste de grand talent, copie conforme du sublime trompettiste Clifford Brown. JB avec lequel nous avons monté le quartet [Straight Life] avec Gérard Solignac à la guitare, Jean-Louis Laclavère au sax et Serge Guirao à la guitare basse. Encore une belle expérience.

Je me souviens de boeufs mémorables au Pharaon avec le poivrot du quartier qui cuvait son vin la tête dans son assiette de soupe, un couple de cleb's en train de forniquer devant la batterie sous le regard hilare et ébahi des premières tables et des pétasses emperlousées en train de se pâmer deux tables plus loin ! Je me souviens de cette serveuse qui prenait ses commandes le clope au bec, penchée au-dessus de l'assiette des convives inquiets, avec 3 cm de cendre en équilibre précaire au bout.

Je me souviens du steak mal décongelé cuit avec son papier et servi sans sourciller !

Je me souviens de la tête de Patrick la première fois que je lui ai demandé des oeufs au plat pas cuits mais non glaireux ! Il n'en revenait pas le bougre et m'avait d'entrée de jeu classé parmi les sales cons. Je me souviens que j'aimais à raconter qu'au Pharaon, lorsque nous faisions trop de bruit, le personnel de la clinique mitoyenne nous balançait dessus des foetus par la verrière ! Effet garanti !

Je me souviens aussi des soirées au Petit Bedon avec la troupe à Titi (Claude Tissendier) et surtout des repas d'après le spectacle. Moments de grande convivialité. Titi trouvait que je jouais trop moderne et moi je l'accusais de jouer trop vieux et pourtant nous faisions l'un avec l'autre...

Claude Tissendier

Je me souviens le jour ou Claude a décidé de monter un groupe étrange et pénétrant formé d'un trio de base : (Ronga dit "Patte de moâneau", Biraben et moi-même) d'un quatuor de sax et d'une trompette. Si j'ai un vrai regret dans ma vie de musicien, c'est bien que ce groupe ne soit pas arrivé au bout de ses répétitions. Il manquait toujours un soufflant à l'appel et ce jusqu'au découragement final de Claude qui a fini par jeter l'éponge. La rythmique tournait et les soufflants assuraient comme un seul homme ... Quelle tristesse et quelle déception.

Pour les 50 ans de Claude j'écrivais :

Toulouse, le samedi 9 novembre 2002

Cher, très cher Claude,

Vous en souvenates-vous ma sérénissime grandeur, de ces temps immémoriaux z’et Pharaonesques, alors que jeunes déjà nous sévissions ensemble en des lieux étranges et venus d’ailleurs, parmi les fourrures éparses z’et dépareillées de jeunes femmes nues dessous, pétasses emperlousées, futures rombières esseulées venues s’encanailler en ces lieux merdiques au milieu de poivrots fatigués invités à cuver leur vin ou boire une soupe, assoupis à leur table, là, contre le pilier, en des postures grotesques d’hommes usés, brûlés de l’intérieur par les vapeurs délétères d’alcool ranci et d’accords trop mineurs ?

Vous en souvenates-vous, mon ami ma caissière, de ces chiens et de ces chiennes forniquant à foison, copulant sans vergogne, là … Non ! là ! devant un public hilare ? Rappelez-vous donc de cet émoi hirsute qui s’emparait de vous et vous faisait ce son aigrelet et chevrotant de l’homme que l’émotion étreint ?…

Vous en souvenates-vous, ma seigneurie lorsque nous jouions un peu fort, tout enhardis par notre talent nouveau, et qu’hirsute et décoiffés nous recevions sur la tête du haut de la verrière sombre, nombre de foetus obsolètes que nous balançaient, agressives, quelques infirmières en chef revêches et désabusées de la clinique d’à côté ?

Vous en souvenates-vous votre honneur, de ces femelles de musiciens, danseuses de claquettes, la poitrine hardie et le fion en goguette qui se dandinaient sans retenue ni honte aucune, plaçant leurs temps forts bien appuyés sur les premier et troisième temps de la mesure ?

Vous en souvenates-vous, ami, camarade, mon frère, de ce pianiste toujours perché là haut sur ses harmonies ? Comment s’appelait-il déjà ? D’un si joli nom d’oiseau ? Oui, c’est ça, comme vous le dites si bien : « Patte de moâneau » !

Vous en souvenates-vous des Jean-Baptiste Mira, Jean-louis Laclavère, Jean-Claude Biraben, de ces Pierre Abbo, boeuffeur professionnel, de cet unique Voyard, de Cattoen, de Coco Fourcade et de celui qui applaudissait à l’horizontale ? Des Dédé Sassoure ? Des concerts Huttman et autres Mattei, du festival de Super Besse et j’en passe et des meilleures … Tout cela mort au champ d’honneur ?

Vous en souvenates-vous ma moiteur, de nos querelles sur mes reprises en l’air ? sur mes pêches ? Une droite et le reste de travers ? Sur les menaces de mort que vous encourates pour avoir osé me quémander 8 mesures de sheffle ? Rassurez-vous, votre grandeur, l’affaire encore aujourd’hui s’envenime et des musiciens rancuniers z’et hargneux me poursuivent encore et toujours pour mes façons peu orthodoxes de penser ma batterie…

Vous en souvenates-vous talentueux primate de mes menaces (il est vrai que j’étais coutumier du fait alors) proférées à qui voulait l’entendre à l’encontre de sieur "Eczéma", grand maître es big band de Toulouse, de lui faire ingurgiter et ma batterie, et mes cymbales et que même mes baguettes si jamais il s’aventurait à oser me parler ne serait-ce que le centième mal de ce qu’il se permettait à l’encontre de mon prédécesseur ?

Vous en souvenates-vous, ma violente turpitude, de ce plupitre de saxaphones remarquables ou vous jouassiez à 5 comme un seul homme, et que la rythmique s’éclatait et que rentraient les trombones et que nous enclenchions le crabot et les 2 ponts, et que rentraient les trompettes pour un crash sur le ventre dans des écumes de dièses et de bémols ?

Vous en souvenates-vous mon père, de ce bel Abbo vaporeux au regard si doux et la moue flasque enfilant des chorus comme moi des perles d’une culture rare ?

Vous en souvenates-vous de ce Petit Bedon bedonnant dans lequel nous jouions des œuvres coquettes et en mi-teinte afin de ne pas perturber la digestion lente des convives repus en cette cave à l’atmosphère humide fleurant bon le moisi ?

Vous en souvenates-vous, frère de votre frère, père de vos enfants à venir, de ce quintet de sax plus trompette, super sax disiez-vous, dont j’ai le souvenir ému d’une machine qui swinguait et qui tournait ? Ces répétitions qui m’ébranlaient l’âme en ce « chantaconiesque » studio ou ces putain d’enculés de saxaphones ou de trompette étaient systématiquement, soit en retard, soit absent et ce avec ou sans charentaises ?

Moi je m’en souviens comme si c’était hier, moi je m’en souviens comment et combien j’ai fondé des espoirs en ce super machin, moi je m’en souviens comment j’ai ressenti l’annonce de ton départ… Il était clair qu’on était passé à côté… L’occasion Tissendier était dépassée… Il n’y avait plus rien à faire… C’est vrai que je m’en souviens comme si c’était… hier…

Bon anniversaire Claude

Oui, Claude comme quelques autres restera une des figures légendaires du jazz à Toulouse.

Je me souviens de boeufs mémorables en fin de soirées avec le quartet de Claude Tissendier avec le sieur Francis Higounenc qui se faisait prier pour nous rejoindre au trombonne qui préchauffait dans sa voiture et qui une fois qu'il le sortait ne le rentrait qu'après avoir fait un triomphe.

Le Trio Boomerang

Je me souviens des soirées aux Blanchers de la rue idem avec Boomerang (Abbo et Birraben). [De grands moments pour un petit trio. Un joli jazz et des compositions originales. Ca jouait fin et rentre dedans. Trois caractères bien trempés mais une seule musique et un seul jazz.] Je me souviens d'une rencontre fortuite aux Blanchers avec le Tonton Salut et du pugilat aux baguettes qui s'ensuivi tard dans la nuit. J'avais monté ma batterie face à la sienne, Patrick collé au comptoir des Blanchers par une avalanche de dB, hésitait entre le plaisir de l'instant et la crainte d'une descente de flics pour tapage nocturne.

Boomerang (Jazz Magazine)

« … Pierre Voyard tout surpris d’avoir abandonné enfin ses tics binaires qui me firent le détester, découvrait, ravi, ce que peut être un drumming sensible, plein de nuances, de subtilités et de swing… Et il devenait du même coup un batteur de tout premier ordre dont il faudra bien reparler souvent… » Michel Laverdure.

Quelques mois plus tard je rangeais mes baguettes pour un longue éclipse d'environ 20 ans ...

Michel Roque, Claude Guilhot

Je me souviens de mes accompagnements de Michel Roque et de Claude Guilhot et pas seulement "qu'à la gare" ...

Personnellement je ne raffolais pas du swing du petit père Guilhot dont je trouvais le jeux stressé. Il m'incitait trop à un de mes penchants naturels : "avancer, toujours avancer" ce qui finissait par donner à l'ensemble un jeu que je trouvais étriqué, perpétuellement à la recherche de la note d'après. Je préférais le jeu locomotive de Michel Roque qui, lui aussi me terrorisait.

Il avait un truc incroyable, Il faut savoir pour bien comprendre que Michel était totalement aveugle et que lorsque le pianiste ou le bassiste foutait un pain ou pressait, il se retournait vers moi et me regardait droit dans le yeux avec une gueule de 12 km de long. Je ne comprenais pas pourquoi il me regardait alors que je n'y étais pour rien. En fait, simplement il se retournait. Comme en sus c'était un tête de mule et qu'il avait le verbe haut, je ne jouais en permanence sur la défensive prêt à me rebuffer à la moindre de ses remarques et ce n'est qu'en fin de set que je pouvais me rassurer lorsqu'alors il lâchait ses chiens sur le zicos concerné. Olive je crois qu'il s'appelait ce pianiste. Je ne me souviens plus qui sévissait à la basse. Tant et si bien que c'est de la faute de la grande gueule à Michel qu'en début de saison suivante j'ai subitement décidé de raccrocher mes clous ...

Je partageais avec Michel son point de vue sur le swing. Pour lui il n'existait ni "avancer" ni "jouer au fond" ni "retarder sur le temps" pour swinger et pour preuve il prenait l'exemple du train. "Tu vois, disait-il de sa voix de stentor. Il n'y a rien qui swingue mieux que le train et pourtant le train ne fait Taklong Taklong ni en avant ni en retard sinon c'est qu'il accélère ou qu'il ralentit. Et pourtant, il swingue et s'il swingue, ça n'est jamais qu'une question d'accentuation des temps".

Quelque soit la manière de prendre le problème, quelque soit l'angle d'attaque, tout est là, l'ACCENTUATION !... Ainsi, non content de jouer terrible, le Monsieur savait de quoi il parlait. Et pourtant le monde ne l'écoutait pas vraiment, alors moi, vous pensez, mes élucubrations sur le swing !...

Guy Lafitte

Je me souviens aussi d'un mémorable boeuf avec le grand et truculent Guy Lafitte. Il y avait du beau monde dont Bill Coleman, le sax ténor Barrier et Janel je crois, Jean-louis Laclavère à l'alto, peut-être. A la contrebasse, l'incontournableJC Biraben l'immuable fumeur de pipes. Je crois que j'étais un peu là par erreur quand au style des morceaux interpretés mais on jouait quand soudain, après quelques sets et un buffet bien arrosé je crois, Jean-Claude décide de poser la basse pour se reposer. Un des musicien la reprend et c'est la cata ! Je me fais soudainement amplement suer. Le tempo fluctue, ça ne tourne pas, le swing aux oubliettes et je m'emmerde furieusement. Trop boire et manger et déboires. Je suis pris d'une colère énorme, interromps brutalement d'un coup sec de baguette un morceau en plein millieu et je décide de plier ma batterie sur le champ, ce que ! Bibi renfile sa mémère dans sa housse et vogue la galère. Si je ne me suis pas rayé du Jazz toulousain à jamais ce jour là c'est que finalement je ne devais pas être si mauvais ou alors c'est qu'il n'y avait pas d'autres batteurs. Un jour, bien plus tard alors que j'accompagnais Guilhot ou Roque, Laffite est venu me voir et m'a parlé de ma cymbale china, façon de me dire que ma prestation du jour avait selon lui été à la hauteur et que l'affaire était oubliée...

Fut un temps à cette période où je joue pratiquement un soir sur deux, bonne école mais aussi, danger. Chaque soir je cherche le juste moment d'équilibre en prenant deux babies jusqu'au jour où je me rends compte que finalement un jour sur deux je joue partiellement ivre. A ce train-là je vais rapidement finir alcoolo. Je décide donc de ne finir mes soirées qu'avec un verre allongé avec de la glace ...

Rupture ...

Il est vrai qu'à cette période je découvrais l'informatique, que je rentrais à la fac (la plus grande erreur de ma vie) et qu'après une période de trois mois resté sans jouer, je devais ouvrir la saison par un concert avec Michel Roque aux Blanchers. J'ai une fois encore été pris de terreur rien qu'en m'imaginant caler sur un tempo à plus de 340 à la noire truffé de 8/8, 4/4, 2/2 et même 1/1 ! Mon orgueuil l'a emporté et j'ai immédiatement téléphoné à Tonton Salut pour lui demander de me remplacer sur ce coup et sur tous les autres. J'arrêtais, je déposais les armes après 20 ans d'acharnement sur cet instrument (sic), sur la musique et sur le Jazz.

Dans la lancée j'appelle Pierre Abbo pour lui annoncer que je raccroche ... Ce devait être en 1983, date de mes derniers enregistrements du trio Boomerang. A la suite de quoi j'ai tout vendu pour changer véritablement de vie. 25 ans sans quasiment toucher un clou. On ne peut vraiment pas dire que ce changement radical d'existence (8h - 16h30) me fut bénéfique (lire : Ma vie ne tenait qu'à un fil ou, Maladies Graves).

Yozo Trio

Après 20 ans d’absence (Ingénieur du Son à l’Université Toulouse II - ESAV) les baguettes me démangent à nouveau. Reprise de contact avec le jazz avec le Toulouse All Stars avec mon ami Laclavère devenu depuis médecin. Ca n'est pas vraiment très moderne comme jazz mais après cette longue rupture je jouerai presque du New Orleans. Nous faisons ainsi quelques restaurants dans la campagne environnante. C'est par Jean-Louis que je vais rencontrer Gilbert Prévost (contrebasse) et, par ce dernier, Antoine Mizrahi (piano). Ils cherchent un troisième pour créer un trio. Nous organisons une rencontre afin de savoir si nous sommes capable d'aller dans la même direction. Cela semble être le cas. Création du Mister Yozo Trio. Nous avons pas mal répété ensemble mais question gigs ça ne débouche pas sur grand chose. Les gigs se font rares et Mizra et Gilbert ont besoin de travailler. Les concernant c'est la pratique musicale qui les fait croûter, ce qui n'est pas mon cas. Comme d'hab, je pratique le dilettantisme. Tout pour le plaisir. C'est une expérience qui aura duré environ une année et dont je garde beaucoup de bons souvenirs. En sus, ce sacré Mizrahi proposait de jolis plans de répertoire.

J'ai rencontré dans ma vie pas mal de musiciens qui s'adonnaient à la boisson ou au pétard, tous convaincus de mieux jouer alors. Dommage. Il n'y a vraiment que celui qui fume ou qui boit pour en être convaincu. J'en sais quelque chose pour avoir correctement expérimenté la chose. Sans exception le jeu devient flou et tempo et mise en place en prennent un sacré coup. Ainsi, après plusieur accrochages pour diverses raisons nous avons préféré en rester là. A cette période je travaille encore à l'université et les km des répétitions me gonflent. Mais en fait, ce sont des retrouvailles qui vont me décider, quelques temps auparavant, en septembre 2001, coup de fil impromptu. Je pense que sans ce coup de fil et sans la rencontre qui allait s'en suivre j'aurais continué avec Yozo.

VMV Trio

"Allo ? Bonjour, je cherche un certain Pierre Voyard, un batteur toulousain avec lequel j'ai joué il y a 20 ou 25 ans... - Oui c'est moi... - Je suis Jean Baptiste Mira - Mira ! Non d'un chien !" et de m'expliquer qu'il joue assez souvent avec un certain Jacques Valentin, bassiste, avec lequel, envisageant de former un trio, Jacques lui demande s'il ne connaitrait pas un batteur ce à quoi JB lui répond "Oui, j'en connaissais un, le meilleur, Pierre Voyard". Est-ce que ça te dit de jouer avec nous. Aujourd'hui je ne joue plus de trompette mais du piano. Connaissant le lascar, je n'ai pas la moindre hésitation. Bon comme il l'était à la trompette, il ne peut être que très correct au piano. Nous prenons rendez-vous pour un premier contact, un premier essai, une première répétition.

Lors de celle-ci, après quelques ajustements et prises de marques, nous décidons de baptiser le trio VMV pour "Voyard, Mira Valentin" ou "Valentin, Mira, Voyard" et c'est parti pour une répétition par semaine pendant toute la première année. A la fin de celle-ci le trio est homogène et tourne de manière plus qu'acceptable. L'ombre de Keith Jarrett plane sur le trio VMV.

Aujourd'hui ça fait 6 ans que nous tournons ensemble et le trio est tout à fait honorable. Nous nous connaissons par coeur, ce qui facilite bien les choses. Le seul problème s'il y a eu est que, comme la grande majorité des zicos de jazz, nous sommes tous plus ou moins des divas et que quelques problèmes de personnalité font que nous connaissons quelques ombres passagère mais qui jamais n'iront jusqu'à la rupture. Pourtant parfois ce sera chaud. Il y aura toujours l'un d'entre nous pour raccrocher les morceaux. Nous sommes bien conscients qu'il nous sera difficile de reformer un trio de ce niveau en cas de rupture. Et puis à 60 ans passés nous sommes tous plus près de la sortie que de l'entrée... Ca rend sage... Un peu...

Mon problème très personnel est que si je ne me considère pas comme un soliste, je me refuse à jouer simplement les accompagnateurs au service exclusif d'un soliste quelqu'il soit car je pense avoir assez de personnalité de jeu et assez de choses à dire pour faire partie à part entière d'un trio ou de quelconque ensemble. Je considère qu'avant d'être batteur, je suis Musicien.

Le reproche que l'on peut me faire est que si je suis un batteur que l'on peut qualifier de "sûr" (il y a mieu que moi mais il existe bien pire), je n'en suis pas moins un amateur de risques et que par exemple rien ne m'emmerde plus que les 4x4 qui ne laissent à personne le temps de développer quoi que ce soit mais qui sont rassurants car sans risque, justement. J'ai toujours préféré jouer en acceptant une certaine prise de risque que de jouer petite main. Je commence à respirer dans les 8x8, voire les 12x12.

Problème éternel, rien n'est plus frustrant pour un batteur que d'être obligé de se retenir de jouer en l'air comme de rentrer et de sortir de 4 ou de 8 autrement que sur le premier temps par crainte que les autres zicos du groupe aient peur ou ne se plantent... Toute ma vie j'ai dû me battre pour faire accepter ma façon de voir et de sentir le jazz et ça n'est pas sans raison que j'ai arrêté une première fois. La frustration, ça fout le cancer et pas que !

Aujourd'hui, deux possibilités s'offrent à nous, soirée repas d'affaires ou rester à la maison. Cependant les gigs chicos à bruits de fourchettes et mélange de discussions prédominantes ne me satisfont plus vraiment si jamais ils m'ont un jour satisfait. D'une part le public est là pour parler affaire et non pour écouter un trio de musiciens, fussent-ils excellents, ce qui nous oblige de jouer à la limite de décrochage, train et volets sortis, tout vérifié.

Si pour un pianiste ou un bassiste il suffit de baisser le volume sans pour autant que cela les empêche de taper sur leur clavier ou tirer comme des sourds sur les cordes, pour le batteur il n'est d'autres solutions pour jouer doucement que de jouer toute petite main et tout petit pieds. Et avec ça, j'ai de plus en plus de mal.

Un pianiste comme JB par exemple est un malade de l'harmonie et il peut donc s'exprimer dans seulement un filet de son à triturer ses accords mais pour un batteur son harmonie à lui, c'est la mise en place, les variations de rythms et de tempo, la dynamique et autres nuances d'où l'importance que je porte à ces variations et nuances.

Jouer perpétuellement à la limite du crach n'est absolument pas satisfaisant mais assurément, très frustrant à tel point qu'à certains moments il m'arrive de me demander si une fois encore je ne vais pas raccrocher. Et puis, l'âge venant, l'âge aidant, les instruments sont de plus en plus lourds à installer, à déplacer puis à replier et la terre de plus en plus basse et les articulations de plus en plus douloureuses et pourtant comme il est difficile de se résigner à tout abandonner, comme une petite mort... Cependant un jour... Pourtant encore, à l'occasion de quelques mini concerts champêtres il m'arrive d'avoir vraiment la sensation de jouer, d'ouvrir les vannes vraiment, de laisser aller la machine et adieu frustration, on repart pour un tour... (6 juillet 2010)

1er juin 2012 - Aujourd’hui, bientôt 67 ans. Toujours la forme mais plus de scène du tout. Vraiment trop de galères pour un plaisir minime pris entre le manque d’estime de la part des employeurs, les conditions de travail, la route, le matos à charger, décharger, recharger dans les voitures. Le mal de dos… J’ai donc arrêté. Et puis la photographie envahi mon temps et mon espace de plus en plus ce qui ne m’empêche pas de pratiquer la batterie régulièrement soit par Internet interposé, avec mon ami et pianiste JiBi Mira qui m’envoi des fichiers « Basse – Piano » ou encore sur des prises "binaires" de mon neveu ou de l'ami Ludo, sur lesquels je rajoute des parties batterie ou percus en ReRe ou encore des ReRe sur des musiciens de talent comme Chet Baker ou Caron (enregistrements réalisés sans batterie), un grand plaisir et surtout personne pour te dire que "tu en fais trop" ou que "tu prends trop de risques". L’avantage du ReRe est que les zicos avec lesquels tu joues sont toujours contents et ne t’emmerdent jamais, même lorsque tu te plantes ou « approximatives » sur un plan ! Et puis, je vous rassure, je joue encore "terrible" ! La décrépitude c'est pour dans quelques jours seulement !...

En fait mon bureau est bien occupé. Deux ordinateurs double écrans dont un dédié uniquement aux prises de son « multipistes », L’autre pour les courriels et le travail sur la photo. Ma batterie, une console de mixage, un bon casque et de bonnes écoutes auto amplifiées. Que demander de plus.

La région est magnifique à vélo électrique et propice à la photographie, tout comme les hommes et les femmes d'ici. Des restos, des cinés, des amis, la vie est belle et c’est tant mieux…

(A suivre ?...)

Pierre Voyard

La Jazzitude de "Papa Mutt" Carhaix de Philippe BRIAND, à lire absolument.

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