Reconnaître sa voix ?

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Pierre Voyard - Toulouse le 10 décembre 94 Modifié le : 23 novembre, 2014 9:25

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APPRENDRE A RECONNAITRE ET ACCEPTER NOTRE PROPRE VOIX

Il en va de notre propre voix comme de certains instruments de musique comme les cuivres ou les bois. Dans le cas, et des instruments et de notre voix, nous sommes pratiquement dans l'incapacité de juger la qualité des sons que nous émettons sauf, si nous bénéficions d'une grande habitude et d'une longue pratique de l'enregistrement et de l'écoute des sons dont nous sommes l'émetteur.

Même la reproduction de notre voix enregistrée et reproduite dans des conditions idéales avec du matériel de "très haut de gamme" nous est et nous demeurera toujours étrangère. Nous ne pouvons apprendre qu'à la reconnaître et à l'accepter.

Dans le cas d'un enregistrement sur un support quelconque (analogique ou numérique), en admettant que les chaînes sonores d'enregistrement et de diffusion soient parfaites et que celui-ci soit effectué dans un local acoustiquement parfait, lui aussi (sic), nous serions en situation de nous entendre parler comme si nous étions EN FACE de nous-mêmes ce qui, à priori, ne peut en aucun cas être possible, à part de jouir d'un don d'ubiquité ? Mais imaginons !…

RECONNAISSANCE ET NIVEAU DE DIFFUSION

Il est important de savoir ou de se rappeler que lors d'une écoute, seulement quelques déciBels ou fractions de dB (niveau sonore) au dessus du niveau auquel on perçoit une voix parlée en situation "normale" de conversation, nous ne la percevons plus de manière "naturelle" ! Nous percevrons alors des fréquences situées dans le grave et l'aigü que nous n'entendrions pas dans les conditions "normale"s d'écoute. L'équilibre spectral de la voix est chamboulé.

Notre voix va nous paraître comme comportant plus de graves et plus d'aigüs (effet loudness). Comme possédant un "grain", une "brillance" que nous ne percevons pas normalement. Défaut auquel nous allons devoir ajouter ceux de linéarité du microphone utilisé (trop souvent les microphones présentent un renforcement de 1 à 6dB ou plus, entre 3000 et 10000 Hz et une atténuation des graves en dessous de 50 à 80 Hz). Mais aussi un renforcement artificiel des graves dans le cas "d'effet de proximité", ainsi que les défauts ou corrections apportées par la machine d'enregistrement ou le preneur de son. Avec en sus, la coloration apportée par l'acoustique du local dans lequel sont effectuées et la prise de son et la diffusion !

Ne trouvez-vous pas qu'à force, ça fait beaucoup et nous laisse bien peu de chances de reconnaître notre propre voix ?

À force d'écoute et de persévérance, nous pouvons tout de même parvenir à en compenser les manques de manière automatique et subconsciente et à transformer la perception que nous en avons.

L'expérience montre, la mienne en particulier, que ce long apprentissage de l'écoute et une bonne reconnaissance et maîtrise de notre propre voix, peut à la suite d'un changement de timbre de voix brutal (accident, maladie), être sérieusement remis en question. Même si nous entendons et analysons parfaitement notre nouvelle voix, elle nous reste totalement étrangère lors de son audition sur un enregistrement.

Le pire, lorsque nous essayons de chanter, est que nous nous révélons incapables de maîtriser correctement la hauteur des sons que nous émettons. Un peu comme si on voulait corriger une tierce personne par l'entremise d'un intermédiaire chargé de traduire les ordres de correction de fréquences à effectuer. Cet asynchronisme interdit toute correction efficace. On chante faux !

En situation normale, c'est en particulier notre situation par rapport à l'émetteur qui va perturber notre jugement. Lors de l'écoute d'un interlocuteur, d'un chanteur ou d'un instrumentiste, nous sommes généralement inscrits dans un cône formant un angle inférieur à ±45° par rapport à celui-ci. Dans le cas de notre propre voix ou d'un instrument à vent, nous sommes presque toujours situés à 180° par rapport à l'émetteur (notre bouche ou le pavillon de l'instrument).

Le pavillon de l'instrument est généralement orienté vers le public (sauf dans le cas du cor de chasse ou d'harmonie ou dans celui de certains bois), nous ne pouvons donc pas avoir la même perception qu'une personne située en face de nous.

Il n'est ainsi pas rare de voir un "souffleur" jouer face à un mur ou dans une encoignure afin de profiter de la réflexion et convergence des multiples réflexions sur cette ou ces surfaces.

Des problèmes identiques sont le lot quotidien des orateurs divers ou des chanteurs.

Mais en quoi le fait que l'on soit face à un mur peut-il changer quelque chose quant à la perception de notre propre voix ?

Lors d'une expérience en milieu "libre", (extérieur sans obstacle), nous émettons des sons qui s'éloignent de nous sans qu'aucun obstacle ne nous les renvoie. Ceci tout en sachant que d'une part, concernant les fréquences graves (200 à 250 Hz pour les femmes, et 150 à 200 Hz pour les hommes), elles se dispersent et s'éloignent de notre tête de manière quasiment omnidirectionnelle (comme les rayons lumineux par rapport à une ampoule électrique opale nue) et nos oreilles perçoivent alors ces fréquences car elles sont immergées dans le champ de propagation de ces fréquences. D'autre part, plus les fréquences de notre voix sont situées dans l'aigü et plus elles sont directionnelles, comme une lampe torche à faisceau étroit dirigée devant nous. Ainsi nos oreilles sont "dans l'ombre" et perçoivent donc ces fréquences fortement atténuées (celles-ci étant situées hors du cône de projection de votre voix).

BECAUD - I MUVRINI, MEME COMBAT

Gilbert BECAUD


Ainsi, "situé à l'extérieur de ce cône", le phonateur est très mal placé pour entendre et analyser sa propre voix. C'est pour cette raison, et afin de compenser les effets néfastes de cette situation, que certains chanteurs font avec leur main une conque qu'ils placent entre leur bouche et une de leurs oreilles (comme un combiné téléphonique), favorisant ainsi la perception de leur voix grâce aux réflexions du son dans le creux de leur main. (Procédé mis en vedette par un chanteur comme Gilbert BECAUD et plus récemment, par les chanteurs du groupe corse I MUVRINI).

I MUVRINI

S'ENTENDRE COMME DANS UN MIROIR...

Il vous suffit, afin de vous en convaincre, d'en faire l'expérience.

Un mur très dur et très lisse peut pratiquement être comparé à un miroir en ce qui concerne le son (marbre, carrelage en céramique). L'analogie entre son et lumière en terme de réflexions est très similaire. Ainsi, placez-vous en face et à proximité d'une surface dure et lisse puis répétez en boucle la phrase: "Quels sont ces serpents qui sifflent sur nos têtes" (nombreuses sifflantes). Ceci en vous tournant alternativement vers une paroi éloignée et vers le mur lisse située près de vous. Mais aussi en faisant varier la distance entre vous et le mur proche de vous. Vous devez percevoir très clairement la différence.

Lorsque vous mettez vos mains en conque pratiquement contre vos oreilles (sans les boucher), c'est le même procédé qui est mis en œuvre. Mais dans ce cas ce sont surtout les fréquences aiguës qui sont réfléchies par vos mains vers vos oreilles (fréquences dont la demi-longueur d'onde est inférieure à la dimension de vos mains). D'où la perception d'une surbrillance au niveau de certaines composantes harmoniques de la voix et des sifflantes. Vous percevriez le même son si vous vous parliez à l'oreille.

Dans le cas d'un mur lisse, ce sont pratiquement toutes les fréquences qui sont réfléchies de manière homogène vers nous (voir : "longueur d'onde et réflexions"). Mais en contre partie, nous sommes confrontés, selon notre position par rapport aux murs ou à l'obstacle, à des phénomènes acoustiques non linéaires perturbants la perception de notre voix ou du son de notre instrument. Il suffit pour s'en convaincre de faire varier la distance qui nous sépare de l'angle du mur ou du mur tout en générant en continue un "AAAAAA" ou un "SSSSSS" ou d'émettre une note tenue avec l'instrument.

Ainsi, nous ne percevons absolument pas notre voix de la même manière dans un champ libre ou face à un obstacle situé à proximité ou en usant de notre ou de nos mains comme de réflecteurs.

Il faut savoir que la voix, comme tous les instruments de musique, n'émet pas de façon omnidirectionnelle (ce serait trop simple) mais multidirectionnelle selon le son généré, sa composition harmonique et sa hauteur. Sa directivité change en permanence avec la hauteur et l'intensité de la note émise.

La voix présente tout de même un cône de diffusion privilégié de 20 à 30° d'ouverture situé environ 15° sous l'axe sagittal de la tête au sein duquel se regroupe pratiquement et de manière homogène toutes les fréquences vocales. C'est à l'intérieur de ce cône que doit idéalement se placer l'auditeur, le spectateur ou le capteur du microphone lors d'une prise de son.

CONDUCTION OSSEUSE ET VOIX SOLIDIENNE

Mais là n'est pas la seule raison de la mauvaise perception de notre propre voix. Nombre d'entre nous savent que nous "profitons" malgré nous d'une audition interne "par voies osseuses" des sons que nous émettons et dont nous ne pouvons pas faire abstraction. (Conduction osseuse dite : Voix Solidienne).

Ainsi, dans le cas du champ libre, ne profitant d'aucune réflexion, la perception de votre voix solidienne est favorisée par rapport à votre voix aérienne et donc elle entache plus la perception que nous avons de notre propre voix.

Enfin, plus l'audition de notre "voix aérienne" est importante (écoute d'un enregistrement de votre propre voix ou les mains en conque ou face à un mur) plus la perception par conduction osseuse de celle-ci est masquée et devient secondaire. La perception par conduction osseuse ou solidienne est généralement de 30 à 60dB inférieure à celle par voie aérienne. Valeurs annoncées par le site: http://www.lli.ulaval.ca/labo2256/.

VOIX AÉRIENNE - VOIX SOLIDIENNE

"La voix aérienne" désigne donc ce que le phonateur (acteur, orateur ou chanteur) désigne sous le terme de retour ou "feed-back". C'est-à-dire la voix perçue uniquement par propagation de l'onde sonore dans l'air. A contrario, "la voix solidienne" désigne la voix perçue uniquement par phénomène de "conduction osseuse".

L'onde sonore émise par le phonateur revient à son oreille par conduction aérienne après avoir été modifiée par les caractéristiques acoustiques de la salle dans laquelle il s'exprime. Selon sa durée de réverbération, le degré de réflexion ou de diffusion des décors, le relief de sa décoration, le coefficient d'absorption des tentures, la nature des matériaux recouvrant lesol et le plafond, les parois de la salle, les qualités d'absorption des sièges vides, son taux d'occupation, etc. ainsi, le spectre harmonique de sa voix peut être profondément modifié, ce qui peut avoir pour effet de transformer complètement le timbre de sa voix aérienne.

En même temps que sa voix aérienne, l'onde sonore qu'émet le phonateur est transmise à son oreille par "conduction osseuse". Les vibrations produites par I'appareil phonatoire au cours de l'émission sont transmises au nerf auditif, soit:

Informations relevées sur le site :
L'AUTO-CONTROLE DE LA VOIX CHEZ LES ARTISTES LYRIQUES
Nicole Scotto di Carlo

- Au niveau de L'OREILLE MOYENNE (par mobilisation de la chaîne ossiculaire pour les fréquences situées en-dessous de 800 Hz), soit:
- Au niveau de L'OREILLE INTERNE (par compression des liquides labyrinthiques pour les fréquences supérieures à 1600 Hz), soit:
- Au niveau de L'OREILLE EXTERNE (par excitation de la membrane tympanique provoquée par les vibrations de I'articulation temporo-mandibulaire).

CONDUCTION OSSEUSE ET ABONDANCE DE GRAVES…

Le timbre de la voix solidienne, surabondant en fréquences graves, restitue à l'émetteur sa propre voix non comme la perçoit un auditeur ou un interlocuteur, mais comme si celle-ci avait subi une atténuation importante des médiums aigüs et des aigüs.

Le chanteur ou l'orateur perçoit donc simultanément sa voix aérienne, dont la composition harmonique a été modifiée par les caractéristiques acoustiques de la salle, et sa voix solidienne, dont seule la partie grave du spectre est transmise. Le timbre perçu par le phonateur est, par conséquent, différent du timbre de I'onde sonore émise initialement.

LES MIROIRS DEFORMANTS

Si le phonateur n'utilise que son retour auditif pour contrôler le son de sa voix, selon la coloration que I'acoustique de la salle va donner à sa voix aérienne (à laquelle vient se superposer la coloration par la voie solidienne), il risque d'être abusé par ce retour et risque de vouloir "rectifier" son émission en fonction de ce qu'il entend, même si celle-ci est, au préalable, correcte.

Prenons l'exemple d'un chanteur ne contrôlant son émission que par retour auditif et qui émet un son correctement "placé" avec un timbre satisfaisant du point de vue de l'intelligibilité et de l'esthétique.

Supposons que I'acoustique du lieu dans lequel il se trouve colore sa voix de telle sorte qu'il a I'impression qu'elle manque de clarté. La conduction osseuse contribue à lui restituer une voix bourdonnante privée d'harmoniques aigüs, ce qui va encore accentuer son impression et l'inciter à corriger son émission de manière à éclaircir son timbre à l'excès. Le résultat pour les auditeurs sera une voix agressive, stridente, criarde, alors que le chanteur sera persuadé d'avoir retrouvé le vrai timbre de sa voix. On comprend donc qu'il est très difficile de contrôler efficacement son émission en ne se fiant uniquement qu'au retour auditif.

Pourquoi parvenons-nous à reconnaître la voix des autres malgré ces accumulations de défauts, de déformations électroniques, acoustiques et électroacoustiques ?

En fait parce que d'une part, nous mémorisons quelques caractéristiques particulières de timbre des voix perçues et que nous sommes capable de retrouver ces caractéristiques (prononciation, accent, accentuation, débit et j'en passe...), comme des traits caricaturaux de celles-ci même dans le cas de dégradations importantes de ces voix, alors que nous ne faisons pas du tout cet effort de mémorisation dans notre propre cas, puisque c'est de la nôtre dont il s'agit !

Notre voix ne nous intéresse pas parce que nous croyons la connaître. Ce n'est que lorsque nous nous retrouvons dans des situations d'écoute très particulières que nous réalisons à quel point nous sommes mal placés pour la reconnaître, et à quel point nous ne nous écoutons pas parler afin de pouvoir, "si nous nous rencontrons", nous reconnaître...

Tout cela contribue à notre difficulté de reconnaître notre propre voix dans un enregistrement, aussi fidèle celui-ci puisse-t-il être, alors que nous reconnaissons parfaitement la voix des autres.

Pierre Voyard

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