APPRENDRE
A RECONNAITRE ET ACCEPTER NOTRE PROPRE VOIX
Il en va de notre propre voix comme de certains
instruments de musique comme les cuivres
ou les bois. Dans le cas, et des instruments
et de notre voix, nous sommes pratiquement
dans l'incapacité de juger la qualité des
sons que nous émettons sauf, si nous bénéficions
d'une grande habitude et d'une longue pratique
de l'enregistrement et de l'écoute des sons
dont nous sommes l'émetteur.
Même la reproduction de notre voix enregistrée
et reproduite dans des conditions idéales
avec du matériel de "très haut de gamme"
nous est et nous demeurera toujours étrangère.
Nous ne pouvons apprendre qu'à la reconnaître
et à l'accepter.
Dans le cas d'un enregistrement sur un support
quelconque (analogique ou numérique), en
admettant que les chaînes sonores d'enregistrement
et de diffusion soient parfaites et que
celui-ci soit effectué dans un local acoustiquement
parfait, lui aussi (sic), nous serions en
situation de nous entendre parler comme
si nous étions EN FACE de nous-mêmes ce
qui, à priori, ne peut en aucun cas être
possible, à part de jouir d'un don d'ubiquité
? Mais imaginons !
RECONNAISSANCE
ET NIVEAU DE DIFFUSION
Il est important de savoir ou de se rappeler
que lors d'une écoute, seulement quelques
déciBels ou fractions de dB (niveau sonore)
au dessus du niveau auquel on perçoit une
voix parlée en situation "normale"
de conversation, nous ne la percevons plus
de manière "naturelle" ! Nous
percevrons alors des fréquences situées
dans le grave et l'aigü que nous n'entendrions
pas dans les conditions "normale"s
d'écoute. L'équilibre spectral de la voix
est chamboulé.
Notre
voix va nous paraître comme comportant plus
de graves et plus d'aigüs (effet loudness).
Comme possédant un "grain", une
"brillance" que nous ne percevons
pas normalement. Défaut auquel nous allons
devoir ajouter ceux de linéarité du microphone
utilisé (trop souvent les microphones présentent
un renforcement de 1 à 6dB ou plus, entre
3000 et 10000 Hz et une atténuation des
graves en dessous de 50 à 80 Hz). Mais aussi
un renforcement artificiel des graves dans
le cas "d'effet de proximité",
ainsi que les défauts ou corrections apportées
par la machine d'enregistrement ou le preneur
de son. Avec en sus, la coloration apportée
par l'acoustique du local dans lequel sont
effectuées et la prise de son et la diffusion
!
Ne trouvez-vous pas qu'à force, ça fait
beaucoup et nous laisse bien peu de chances
de reconnaître notre propre voix ?
À force d'écoute et de persévérance, nous
pouvons tout de même parvenir à en compenser
les manques de manière automatique et subconsciente
et à transformer la perception que nous
en avons.
L'expérience montre, la mienne en particulier,
que ce long apprentissage de l'écoute et
une bonne reconnaissance et maîtrise de
notre propre voix, peut à la suite d'un
changement de timbre de voix brutal (accident,
maladie), être sérieusement
remis en question. Même si nous entendons
et analysons parfaitement notre nouvelle
voix, elle nous reste totalement étrangère
lors de son audition sur un enregistrement.
Le pire, lorsque nous essayons de chanter,
est que nous nous révélons incapables de
maîtriser correctement la hauteur des sons
que nous émettons. Un peu comme si on voulait
corriger une tierce personne par l'entremise
d'un intermédiaire chargé de traduire les
ordres de correction de fréquences à effectuer.
Cet asynchronisme interdit toute correction
efficace. On chante faux !
En situation normale, c'est en particulier
notre situation par rapport à l'émetteur
qui va perturber notre jugement. Lors de
l'écoute d'un interlocuteur, d'un chanteur
ou d'un instrumentiste, nous sommes généralement
inscrits dans un cône formant un angle inférieur
à ±45° par rapport à celui-ci. Dans le cas
de notre propre voix ou d'un instrument
à vent, nous sommes presque toujours situés
à 180° par rapport à l'émetteur (notre bouche
ou le pavillon de l'instrument).
Le pavillon de l'instrument est généralement
orienté vers le public (sauf dans le cas
du cor de chasse ou d'harmonie ou dans celui
de certains bois), nous ne pouvons donc
pas avoir la même perception qu'une personne
située en face de nous.
Il n'est ainsi pas rare de voir un "souffleur"
jouer face à un mur ou dans une encoignure
afin de profiter de la réflexion et convergence
des multiples réflexions sur cette ou ces
surfaces.
Des problèmes identiques sont le lot quotidien
des orateurs divers ou des chanteurs.
Mais en quoi le fait que l'on soit
face à un mur peut-il changer quelque chose
quant à la perception de notre propre voix
?
Lors d'une expérience en milieu "libre",
(extérieur sans obstacle), nous émettons
des sons qui s'éloignent de nous
sans qu'aucun obstacle ne nous les renvoie.
Ceci tout en sachant que d'une part, concernant
les fréquences graves (200 à 250
Hz pour les femmes, et 150 à 200 Hz pour
les hommes), elles se dispersent et s'éloignent
de notre tête de manière quasiment
omnidirectionnelle (comme les rayons lumineux
par rapport à une ampoule électrique
opale nue) et nos oreilles perçoivent alors
ces fréquences car elles sont immergées
dans le champ de propagation de ces fréquences.
D'autre part, plus les fréquences
de notre voix sont situées dans l'aigü
et plus elles sont directionnelles, comme
une lampe torche à faisceau étroit dirigée
devant nous. Ainsi nos oreilles sont "dans
l'ombre" et perçoivent donc ces fréquences
fortement atténuées (celles-ci étant situées
hors du cône de projection de votre voix).
BECAUD
- I MUVRINI, MEME COMBAT
Gilbert BECAUD
Ainsi, "situé à l'extérieur de ce cône",
le phonateur est très mal placé pour entendre
et analyser sa propre voix. C'est pour cette
raison, et afin de compenser les effets
néfastes de cette situation, que certains
chanteurs font avec leur main une conque
qu'ils placent entre leur bouche et une
de leurs oreilles (comme un combiné téléphonique),
favorisant ainsi la perception de leur voix
grâce aux réflexions du son dans le creux
de leur main. (Procédé mis en vedette par
un chanteur comme Gilbert BECAUD et plus
récemment, par les chanteurs du groupe corse
I MUVRINI).
I
MUVRINI
S'ENTENDRE
COMME DANS UN MIROIR...
Il vous suffit, afin de vous en convaincre,
d'en faire l'expérience.
Un mur très dur et très lisse peut pratiquement
être comparé à un miroir en ce qui concerne
le son (marbre, carrelage en céramique).
L'analogie entre son et lumière en terme
de réflexions est très similaire.
Ainsi, placez-vous en face et à proximité
d'une surface dure et lisse puis répétez
en boucle la phrase: "Quels
sont ces serpents qui sifflent sur nos têtes"
(nombreuses sifflantes). Ceci en vous tournant
alternativement vers une paroi éloignée
et vers le mur lisse située près de vous.
Mais aussi en faisant varier la distance
entre vous et le mur proche de vous. Vous
devez percevoir très clairement la différence.
Lorsque vous mettez vos mains en conque
pratiquement contre vos oreilles (sans les
boucher), c'est le même procédé qui est
mis en uvre. Mais dans ce cas ce sont
surtout les fréquences aiguës qui sont
réfléchies par vos mains vers vos oreilles
(fréquences dont la demi-longueur d'onde
est inférieure à la dimension de vos mains).
D'où la perception d'une surbrillance au
niveau de certaines composantes harmoniques
de la voix et des sifflantes. Vous percevriez
le même son si vous vous parliez à
l'oreille.
Dans le cas d'un mur lisse, ce sont pratiquement
toutes les fréquences qui sont réfléchies
de manière homogène vers nous (voir : "longueur
d'onde et réflexions"). Mais en contre
partie, nous sommes confrontés, selon notre
position par rapport aux murs ou à
l'obstacle, à des phénomènes acoustiques
non linéaires perturbants la perception
de notre voix ou du son de notre instrument.
Il suffit pour s'en convaincre de faire
varier la distance qui nous sépare de l'angle
du mur ou du mur tout en générant en continue
un "AAAAAA" ou un "SSSSSS"
ou d'émettre une note tenue avec
l'instrument.
Ainsi, nous ne percevons absolument pas
notre voix de la même manière dans un champ
libre ou face à un obstacle situé à proximité
ou en usant de notre ou de nos mains comme
de réflecteurs.
Il faut savoir que la voix, comme tous les
instruments de musique, n'émet pas de façon
omnidirectionnelle (ce serait trop simple)
mais multidirectionnelle selon le son généré,
sa composition harmonique et sa hauteur.
Sa directivité change en permanence avec
la hauteur et l'intensité de la note émise.
La voix présente tout de même un cône de
diffusion privilégié de 20 à 30° d'ouverture
situé environ 15° sous l'axe sagittal de
la tête au sein duquel se regroupe pratiquement
et de manière homogène toutes les fréquences
vocales. C'est à l'intérieur de ce cône
que doit idéalement se placer l'auditeur,
le spectateur ou le capteur du microphone
lors d'une prise de son.
CONDUCTION
OSSEUSE ET VOIX SOLIDIENNE
Mais là n'est pas la seule raison de la
mauvaise perception de notre propre voix.
Nombre d'entre nous savent que nous
"profitons" malgré nous
d'une audition interne "par
voies osseuses" des sons que
nous émettons et dont nous ne pouvons pas
faire abstraction. (Conduction osseuse dite
: Voix Solidienne).
Ainsi, dans le cas du champ libre, ne profitant
d'aucune réflexion, la perception
de votre voix
solidienne est favorisée
par rapport à votre voix
aérienne et donc elle entache
plus la perception que nous avons de notre
propre voix.
Enfin,
plus l'audition de notre "voix
aérienne" est importante (écoute
d'un enregistrement de votre propre voix
ou les mains en conque ou face à un mur)
plus la perception par conduction osseuse
de celle-ci est masquée et devient secondaire.
La perception par conduction osseuse ou
solidienne est généralement de 30
à 60dB inférieure à celle par voie
aérienne. Valeurs annoncées par le
site: http://www.lli.ulaval.ca/labo2256/.
VOIX
AÉRIENNE - VOIX SOLIDIENNE
"La voix aérienne"
désigne donc ce que le phonateur (acteur,
orateur ou chanteur) désigne sous
le terme de retour ou "feed-back".
C'est-à-dire la voix perçue uniquement par
propagation de l'onde sonore dans l'air.
A contrario, "la voix solidienne"
désigne la voix perçue uniquement par phénomène
de "conduction osseuse".
L'onde sonore émise par le phonateur revient
à son oreille par conduction aérienne
après avoir été modifiée par les caractéristiques
acoustiques de la salle dans laquelle il
s'exprime. Selon sa durée de réverbération,
le degré de réflexion ou de diffusion des
décors, le relief de sa décoration, le coefficient
d'absorption des tentures, la nature des
matériaux recouvrant lesol et le plafond,
les parois de la salle, les qualités d'absorption
des sièges vides, son taux d'occupation,
etc. ainsi, le spectre harmonique de sa
voix peut être profondément
modifié, ce qui peut avoir pour effet
de transformer complètement le timbre de
sa voix aérienne.
En même temps que sa voix aérienne, l'onde
sonore qu'émet le phonateur est transmise
à son oreille par "conduction
osseuse". Les vibrations produites
par I'appareil phonatoire au cours de l'émission
sont transmises au nerf auditif, soit:
Informations
relevées sur le site :
L'AUTO-CONTROLE
DE LA VOIX CHEZ LES ARTISTES LYRIQUES
Nicole
Scotto di Carlo
- Au niveau de L'OREILLE MOYENNE
(par mobilisation de la chaîne ossiculaire
pour les fréquences situées en-dessous de
800 Hz), soit:
- Au niveau de L'OREILLE INTERNE
(par compression des liquides labyrinthiques
pour les fréquences supérieures à 1600 Hz),
soit:
- Au niveau de L'OREILLE EXTERNE
(par excitation de la membrane tympanique
provoquée par les vibrations de I'articulation
temporo-mandibulaire).
CONDUCTION
OSSEUSE ET ABONDANCE DE GRAVES
Le timbre de la voix solidienne,
surabondant en fréquences graves, restitue
à l'émetteur sa propre voix non comme la
perçoit un auditeur ou un interlocuteur,
mais comme si celle-ci avait subi une atténuation
importante des médiums aigüs
et des aigüs.
Le chanteur ou l'orateur perçoit donc simultanément
sa voix aérienne, dont
la composition harmonique a été modifiée
par les caractéristiques acoustiques de
la salle, et sa voix solidienne,
dont seule la partie grave du spectre est
transmise. Le timbre perçu par le phonateur
est, par conséquent, différent du timbre
de I'onde sonore émise initialement.
LES
MIROIRS DEFORMANTS
Si le phonateur n'utilise que
son retour auditif pour contrôler le son
de sa voix, selon la coloration que I'acoustique
de la salle va donner à sa voix
aérienne (à laquelle vient se superposer
la coloration par la voie solidienne),
il risque d'être abusé par ce retour et
risque de vouloir "rectifier"
son émission en fonction de ce qu'il entend,
même si celle-ci est, au préalable, correcte.
Prenons l'exemple d'un chanteur ne contrôlant
son émission que par retour auditif et qui
émet un son correctement "placé"
avec un timbre satisfaisant du point de
vue de l'intelligibilité et de l'esthétique.
Supposons que I'acoustique du lieu dans
lequel il se trouve colore sa voix de telle
sorte qu'il a I'impression qu'elle manque
de clarté. La conduction osseuse
contribue à lui restituer une voix bourdonnante
privée d'harmoniques aigüs, ce qui
va encore accentuer son impression et l'inciter
à corriger son émission de manière à éclaircir
son timbre à l'excès. Le résultat pour les
auditeurs sera une voix agressive, stridente,
criarde, alors que le chanteur sera persuadé
d'avoir retrouvé le vrai timbre de sa voix.
On comprend donc qu'il est très difficile
de contrôler efficacement son émission en
ne se fiant uniquement qu'au retour auditif.
Pourquoi parvenons-nous à reconnaître
la voix des autres malgré ces accumulations
de défauts, de déformations électroniques,
acoustiques et électroacoustiques ?
En fait parce que d'une part, nous mémorisons
quelques caractéristiques particulières
de timbre des voix perçues et que nous sommes
capable de retrouver ces caractéristiques
(prononciation, accent, accentuation, débit
et j'en passe...), comme des traits caricaturaux
de celles-ci même dans le cas de dégradations
importantes de ces voix, alors que nous
ne faisons pas du tout cet effort de mémorisation
dans notre propre cas, puisque c'est de
la nôtre dont il s'agit !
Notre voix ne nous intéresse pas parce que
nous croyons la connaître. Ce n'est que
lorsque nous nous retrouvons dans des situations
d'écoute très particulières que nous réalisons
à quel point nous sommes mal placés pour
la reconnaître, et à quel point nous ne
nous écoutons pas parler afin de pouvoir,
"si nous nous rencontrons", nous
reconnaître...
Tout cela contribue à notre difficulté de
reconnaître notre propre voix dans un enregistrement,
aussi fidèle celui-ci puisse-t-il
être, alors que nous reconnaissons parfaitement
la voix des autres.
Pierre Voyard
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