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Y'avait une ville...

Non de dieu, je roulais bordel ! je roulais… La voiture devant moi qui part en tête à queue… Pourquoi ? Et puis ce choc d’une violence inouïe, et puis des pavés, des gravats, des barres de fer, des chambranles, du bitume, chocs multiples, bruits de tôles tordues, torturées, bruit de vitres qui explosent, le moteur cale, des éclats de verre partout, plein dans le cou… plein les cheveux… et puis cette poussière, ce silence cassé par le crépitement des gravats qui retombent… cassé par ces hurlements dans ma tête… Pluie de cailloux sur les tôles torturées… Les moteurs se sont tus… Personne ne bouge dans les véhicules immobilisés… Morts, inconscients ou abasourdis… L’air est irrespirable. Il s’est passé quoi ? Spectacle de désolation à travers cette brume grise… Là ou il y avait une usine il n’y a plus rien que des poutrelles tordues et noire, que des squelettes de béton… Je pense à la chanson de Nougaro… « Il y avait un ville… Il n’y a plus rien » avec toujours et encore ce cri inhumain dans ma tête… C’est un spectacle inouï… Nous ne voyons du ciel qu’un énorme nuage rouge orangé, que des carcasses tordues, dépouillées, et puis des ombres qui errent… Un homme s’extirpe en chancelant de ce qui reste de sa voiture, il titube et tombe face contre le sol. Un autre sur ma gauche a ce qui lui tient de visage en sang, son œil pend… Ca sent la mort… Les sons nous parviennent assourdis… Nos oreilles sifflent comme des cocottes minute… mal dans la poitrine, je saigne du nez et des oreilles… Et ce cri, encore, toujours dans ma tête. Le temps c’est arrêté, comme figé… sous l’étreinte de la peur je sens mon cœur qui cogne… et pourtant je roulais il y a 30 secondes à peine… Une éternité… Pourquoi m’arrêterais-je de crier…

 

Qui es-tu étranger ?

Un claquement monstrueux comme un coup de fusil à mes oreilles ébranle l’immeuble dans sa totalité ! Simultanément la baie vitrée du salon explose ! Bruit de bris de verre, bruit de verre pilé ! La violence du choc me projette contre le mur… Et le plafond qui s’ouvre, entrailles de malade, de chien écrasé, césarienne monstrueuse qui enfante la mort… La poussière, les cloisons de placo éventrées… Et ce plafond qui pend lamentable… Dans le miroir miraculeusement indemne, un étranger abasourdi me regarde… Il n’y a plus de fenêtre, il n’y a plus de porte, l’armoire est éclatée comme une boite d’allumettes… Du plafond éventré pendent des gaines de plastique, du fil de cuivre au trois quart dénudé… Le sol est jonché de morceaux de verre dont certains, ainsi que des lames d’un lanceur de couteaux se sont fiché dans le mur, juste à côté de moi ! Spectacle surréaliste… Et l’étranger qui me regarde toujours… Son masque blanc de clown blanc est strié des ridules rouges d’un clown triste-sire… D’un joli rouge sang… Il est blessé l’étranger… Dans l’image de mon grand miroir je saigne… Quelque part à côté un mur s’effondre, une alarme se déclenche… Putain d’alarmes… Des cris ! Et puis des pas… Ca va ?… oui, ça va… Ma mère me disait toujours « une porte doit être ouverte ou rouge »… Elle est rouge la porte… du sang de qui ?… Bon dieu, une main gît parmi les éclats de verre, parmi les morceaux de plâtre, de gravats… une montre à son poigné… Ma montre…

Enfant de moi...

C’est son gosse, son gosse à lui, plein de contusions, de plaies, de tuyaux de partout ! Des poches multicolores suspendues au dessus de lui comme des hochets grotesques... Pantin minuscule désarticulé, poupée ridicule qui lutte pour l'air qu'elle aspire, et l'alerte qui sonne, et cette fréquence lancinante qui monte et s'interrompt, et qui monte encore, et toujours, à l'infini ! Les infirmière, les médecins qui courent, se bousculent, des cris, des ordres, le père tétanisé, hébété qui hallucine, une aide soignante le pousse hors de la chambre, des portes se ferment, s'ouvrent, une infirmière passe en courant, et cette fréquence, toujours, ce sifflement et puis le silence, brutal, violant, tonitruant, le silence qui s'installe pesamment, et ce bruit, bordel ce bruit de coups de canons qui le secoue, qui le choque, qui le cloue, qui le maltraite au dedans de lui... Ce canon qui s'affole c'est son coeur qui bat ! Alors il avance pas à pas, tout doucement pour ne pas réveiller l'enfant qui dort... L'enfant qui est mort... Les blouses fantômes s'écartent du lit, le père, le visage ravagé par sa douleur et par ses larmes qui coulent silencieusement, s'avance jusqu'à toucher le lit. Il appose ses mains sur le corps inerte, soulève le corps minuscule lié à ses fils d'Ariane et l'embrasse longuement sur le visage, sur les yeux, sur la bouche, tout doucement sur la bouche... tout doucement sur la bouche...

 

Pierre VOYARD

 

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