J'ai froid, non de dieu que j'ai froid.
J'ai froid aux pieds, j'ai froid aux mains,
j'ai mes doigts gelés sur le goulot
de la bouteille glacée qui me ruine
la poche de mon manteau. Le vent me pique
et les doigts et le visage... Presque plus
de cigarettes. Deux ? Trois encore ? Je
ne sais plus. J'ai récupéré
un Bic je ne sais où... Presque vide.
Il est mon feu, il est ma lumière.
J'ai les chaussettes trempées qui
font un drôle de bruit à l'intérieur
de mes chaussures. Je n'ai même pas
de chien maigre pour me réchauffer.
Helmut, lui a un chien qui lui tient chaud.
Qui lui tient tiède... Un chien décharné
et sale, un chien qui l'aime comme un chien...
Putain que j'ai froid, que je me sens sale
et que je sens mauvais. J'ai les mains et
tout le corps qui pègue, qui colle
comme un vieux papier tue mouches. Cinq
jours que je ne me suis pas lavé,
que je ne me suis pas rasé... J'ai
la gueule et les cheveux en vrac, j'ai la
tête qui me gratte et des croutes
me viennent sous les doigts, sous les ongles.
J'ai du mal à marcher, même
de travers. Le Kiravi me brûle et
la tête et les entrailles. Le vent
glacé me transperce, je remonte ce
qui me reste de col à ce manteau,
cette rugosité grasse et élimée.
Je rentre ma tête dans mes épaules
autant que je le peux, le vent me pique
aux yeux.
Plus je bois et plus j'ai froid. Je le sais
tellement que boire ne réchauffe
pas, que c'est même l'inverse. Il
me glace de l'intérieur. Un fond
de rouge, il ne me reste qu'un fond.
Le pont, là, sonnant dans la nuit
et dans l'ombre du son de mon pas hésitant,
dans la nuit noire baignée par la
lueur morbide d'un lampadaire unique. Merde,
une flaque de neige mouillée. La
glace à la surface de l'eau crisse
et cède sous mon poids. Ploutch fait
mon pied dans l'eau glacée qui m'envahit
la grolle gauche. Putain et merde et merde
! J'arrive à proximité de
mes cartons. Ils dansent la sarabande infernale
de mon ivresse. Un vieil emballage de machine
à laver, du carton épais qui
protège de l'humidité et du
vent. Du carton humide comme l'air ambiant.
Je n'ai pas le courage de faire du feu des
quatre planchettes de bois amassées
devant l'entrée de mon gîte.
Dans un carton un peu plus loin un chien
se gratte une puce ou un troupeau d'y-celles
en gémissant doucement pour ne pas
réveiller son maître.
J'allume ma lampe à pétrole
chouravée sur des travaux. La flamme
hésite puis danse mal dans le globe
de verre opaque. Le verre est noir de fumée.
Je n'y vois pas grand chose, mais voir quoi
? Je retire mon manteau qui n'a plus du
manteau que le nom et sa crasse indélébile.
J'ai du mal, c'est tellement exigu. Je me
contorsionne comme un poisson en manque
d'oxygène. Je retire mes chaussures
ou du moins ce qu'il en reste. La semelle
se sépare comme à regret du
cuir élimé qui se déchire
par endroit. Des Nike fut un temps. Je retire
mes chaussettes sales et trempées.
Putain le froid me transperce. Je cherche
une paire presque sèche mais cependant
trempée d'humidité. Je m'essuie
les pieds avec. De toute façon elles
sont sales depuis si longtemps.
Putain que j'ai froid et que la nuit est
épaisse autour de moi. J'entend Simon,
un prof de philo que je ne sais comment
il est là cracher ses poumons. Loin
là-bas un chien hurle à la
mort. Je m'enfile dans mon duvet qui pue
l'agonie et dont le col luit de crasse usée.
Il est glacé dedans comme dehors.
Je tire par dessus la grosse couverture
rouge. Je rabats un bout de carton d'emballage
qui me sert de porte. J'extirpe de ma poche
un reste de pain et jambon sans beurre...
Un festin si je ne le vomis pas avec le
rouge qui me torture. Je fais durer ce moment
autant que je le peux. Je mastique avec
application puis je rentre mes mains dans
mon pantalon et dans mon slip, entre mes
jambes, contre mes couilles et mon sexe.
Seul endroit de mon corps encore un peu
chaud.
Je grelotte comme un malade. J'ai mal à
la tête... La grippe "A"
? Je ris ! Ma respiration fait de la fumée
comme lorsque j'étais gosse, l'hiver
quand j'allais à l'école...
Le froid m'engourdit doucement, lentement,
insidieusement. Je ne sens plus mes pieds...
Je n'ai plus de pieds ou je n'ai plus froid.
Je remonte mon duvet par dessus ma tête,
par dessus mon bonnet. Un jour il fera jour,
un jour il ne fera plus nuit... C'est vrai
qu'aujourd'hui c'est la fête ? Bonne
année...