Il
sont tous autour de la table. Nappe en plastique
avec des motifs que l'outrage du temps…
Des couverts dépareillés,
ébréchés. Un carillon
au mur sonne une heure. Quand j'étais
gosse, j'aimais le son du carillon, surtout
au moment ou il se déclenche, ce
claquement annonciateur de l'heure qui va
sonner…Et puis ce son tellement particulier…
Je me souviens, chez madame Michu, elle
et son mari et son intérieur… C'était
vieux et moche, mal foutu avec des escaliers
en bois qui grinçaient si magnifiquement,
son de vieille coque qui se meurt… Je ne
me souviens pas de la chambre mais du poste
de radio à gauche qui immuablement
chaque midi braillait "La Famille Duraton"
! Et tous les jours à midi, nous
écoutions la famille Duraton, quoi
qu'il advienne, mais il advenait jamais
rien de particulier en ces périodes
reculées et ce village perdu…
Le
grand-père préoccupé
: (Putain ! Où que j'ai encore foutu
mon dentier !...) pense-t-il en se fouillant
de partout.
La mère, excédée déjà
et qui le surveille du coin de l'œil le
voit trifouiller dans les poches de sa robe
de chambre élimée aux motifs
de divorce.
- L'est dans vot' poche poitrine pépé…
Vot' dentier l'est dans vot' poche poitrine
!
Le père, un cendrier
plein et un verre de Ricard vide à
côté de son assiette de soupe
dans laquelle nagent quelques lardons maigres
et légumes épars, une tranche
de pain dont la mie a été
sacagée : (Y'm'dégoute
son vieux à toujours s'enlever et
s'remettre son dentier. Le mien au moins
il a eu la délicatesse de crever
d'un cancer du poumon ! Vit' fait bien fait,
deux mois c'était plié. Moi
j'vais bien faire pareil avec tout c'que
je clope ! Et sans regret que j'dis ! En
plus ses ratiches elles traînent dans
sa poche toute la journée parmi les
"effiloches" et les miettes de
pain. Et que j'te l'mets et que j'te l'enlève
et que j'te les pose sur la table et que
j'te le remets et vas-y qu'ça l'occupe
le sénile sinoque…)
La fille, 16 ans, mignone
mais sans grâce ni élégance,
dans le silence uniquement perturbé
par les "slurps" et autres déglutitions
de la famille qui s'alimente : (c'est vraiment
dégoûtant un vieillard !
Et une vieille alors ? Comment elle sera
maman, plus tard, en vieille ? En plus,
plus ils sont vieux et moins il se lavent
parce que ça leur fait mal aux articulations…
Je déteste l'embrasser pépé,
il pique, il pue et surtout qu'il bave et
ce vieux dégueulasse qui ne perd
jamais une occasion de laisser traîner
ses mains cagneuses là ou la morale
le réprouve. Il n'ont plus rien qui
répond, tout les lâche et encore
lui, ses sphincters fonctionnent ! Berk
! J'ose pas imaginer sa bite pas nette et
toute frippée, raccornie avec un
collier de jaune sêché qui
se détache par plaque ! Berrrk !
Elle doit puer sa bite, elle doit puer la
bite qui pue. Plus on est vieux et décati
et plus il leur est "pénis"
de faire leur toilette... Les bras ne suivent
plus… PFFFF ! Je me demande s'ils se tirlipottent
encore à cet âge ?... Ca peut
bander, un vieux ? Oui qu'elle me rétorque
Sylvie et même jusqu'à plus
de quatre vingt ans !)
La
petite Nine, 6 ans,
deux couettes rigolottes entourent un visage
coquin : (C'est quand qu'on met pépé
à la poubelle ? Et Robert, qu'est-ce
qu'il est moche, Robert, y va bien finir
par se noyer dans son assiette ? A cet âge,
ça fait caca, ça mange et
ça hurle ! C'est comme pépé,
quoi... Regardez-le ! Y fait caca,
il mange et il fait caca… Robert ?
Y clapotte dans son assiette et que tout
le monde s'en fout ! J'ai pas envie de devenir
grande. Il sont trop bêtes et méchants.)
René,
1 an dit Néné, déjà
presque obèse, rougeot et maladroit
: Blurp ! Blurp !
Le père : (C'est vraiment
pas possible c'te gamine, toujours l'air
de se foutre de la gueule du monde ! Avec
qui elle a couché c'te salope pour
me faire une fille pareille et qu'en plus
j'en voulais pas des pisseuses ? Et
pour comble qu'elle lit des livres qui sont
même pas d'son âge ! Prétentieuse !
Victor Hugo ! Est-ce que j'lisais Victor
Hugo à son âge, moi ! Si c'est
pas pour emmerder le monde, ça !
C'est pas comme Robert ! Lui au moins on
sait d'où qu'il vient ! On peut
pas s'tromper, il a l'air d'la famille lui
au moins. Putain ! On dirait sa mère !
En plus ça fume et ça pense
qu'à traîner ! C'est une
bonne guerre qu'il leur faudrait à
ces jeunes. Y verraient si y f'raient la
fine bouche après ! Est-ce qu'on
en avait, nous des Nikes et des ordinateurs
et des portables à leur âge ?
Y passent leur vie le cul devant la télé
à boire de la bière et à
appeler les copains ou à fumer du
Achich ! C'est tout ce qui savent faire,
ces jeunes !).
Le fils Robert, 17 ans : (Enculés
de vieux. Putain la honte ! Regarde-moi
ces gueules ! Y z'ont la tête
tout droit sorti du cul ! Y r'gardent "Moi
y'en a gagné des millions et y sont
content d'eux. Regarde-moi c'te barraque
de merde qu'elle ressemble à rien !
Et en plus y te chient des pendules pour
un joint ! Ha ! Les amples cons
! Moi j'peux même pas les imaginer
en train de baiser ces gros nazes !
Et quand j'pense qu'c'est ce tas qui m'a
mis au monde ? Elle m'a chié,
oui ? J'l'imagine l'aut' goret en tain
de gueuler "je jouis ! Con !
Putain je jouis ! Et d'y envoyer la
purée et après de s'affaler
et de lui baver sa bière rance dans
le cou... Putain quel orgasme ! Merde !
Et après y s'étonnent que
j'sois pas net net ?) - Nine !
Passe-moi le sel !…
La
mère : (Il a vraiment une
gueule de dégénéré
ce gosse ! Avec sa mèche qui
lui pend toujours sur le front et sa gueule
de raie pleine de boutons ! Ca m'étonne
pas, avec c'qu'il boit, l'autre ! C'est
pas du sperme qu'il envoie, mais de l'alcool
avec un peu de sperme autour…) - Robert,
tu r'veux d'la soupe ?
- ...
- Marcel, merde ! dis quec'que chose !
Ton morveux y m'répond même
pas !
- Mon morveux, c'est mon morveux quand y
t'fait chier, mais quand il fait des trucs
bien, alors c'est ton fils... De quoi est-ce
qu'on parlait déjà ?
Ha ! oui, de l'homme des pieds...
- Oui, c'est ça, du podologue des
pieds ! S'applique la mère.
Le fils : Tu dis n'importe quoi ! "Podologue
des pieds" ! Z'y va ! Et pourquoi
pas tu "rentres pas dedans" tant
que t'y es ?
- Ben parc'que j'y suis déjà ?
Giffle !
- Parles-y meilleur à ta mère,
fils de pute !
- Vas-y Marcel, te gènes pas ? Et
pourquoi pas d'catin tant que t'y es et
en plus devant les enfants ?
Nine : (Péripapéticienne,
fille de joie, prostituée, putain...)
Robert regarde son père d'un regard
peu amène. Remet en place sa mèche
longue : J'en ai ma claque de cette
famille de merde ! Je me casse !
Le père : Tu t'rassois
tout de suite ou tu prends ma main dans
la gueule !
La mère : Marcel !
Le fils : Ah bon ? Viens-y
voir ducon !
Sidération autour de la table. On
entendrait une mouche péter.
Le père hagard se lève, fait
le tour de la table, bouscule Nine au passage...
- Papa !
- Ta gueule !
- Parle pas comme ça à ma
fille ! Salaud !
- Toi ? Ta gueule aussi ! Connasse
!
Il se plante devant son fils, le toise et
le menace.
- Vas t'asseoir ou t'en prends une !
- Vas te faire foutre ! J't'emmerde,
t'es un sale con d'ivrogne juste bon à
gueuler et à nous foutre sur la gueule !
Le père lève la main mais
le chafouin lui a déjà tiré
un grand coup de genou dans les parties !
Il tombe à terre en se tenant les
burnes à deux mains.
- Salope de gosse ! crache-t-il en
bavant.
- Ta salope t'emmerde ! Sous-merde !
Et il sort en claquant la porte.
Silence sépulcral... Personne ne
moufte autour de la table à part
les "blurps ! blurps !"
du petit René qui se noie allègrement
dans sa soupe.
Marcel rampe bave et gémit. En s'aidant
des poignées de tiroirs, il se redresse
péniblement en tremblant. Il est
blême. Il décroche le fusil
qui parade sur le mur, posé sur deux
bois en plastique de cerf poussiéreux.
Puis il ouvre le tiroir du buffet dont les
vitres tremblent. Fouille de la main dans
un bric à brac innommable d'objets
hétéroclites. Sa femme se
rue sur lui et l'accroche au bras dans l'espoir
de l'empêcher de charger l'arme. Il
se débat et lui décoche un
violent coup de coude.
- Je vais l'buter ce merdeux pour lui apprendre
à vivre !
- Fais pas ça ! c'est not' fils !
- C'te fiante ? Ca m'f'rait bien chier !
Il arme le fusil à pompe piqué
de rouille. Claquement sec de la culasse
et de la cartouche qui monte.
- Marcel !... Le Marcel en question n'en
a cure.
Il sort dans la lumière dure, la
bave à la gueule tel un danois en
rut... Silence et regards croisés,
terrorisés... Blurp, blurp fait le
petit dernier dans son auge... Déflagration
brutale, tonitruante ! Le pas de la
porte écorché de lumière
de l'été. Les cigales se sont
tues... Pas chancelant qui trébuche...
Apparaît en silhouette la silhouette
du gamin moucheté de l'hémoglobine
paternelle... Hurlement de la mère !
La sœur, elle, pouffe juste un : "le
con ! Il l'a fait..."
Pierre Voyard
Vous
désirez poser une question ? laisser
un commentaire ? faire une suggestion ?
C'est
ici.
-
Haut de page
- Retour
- Plan du Site
- Accueil