LA MORT

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Pierre Voyard -
Créé à Toulouse le 10 décembre 1994

Modifié le :
25 novembre, 2014 13:54


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Au début, il n'y a pas de mort dans la vie, il n'y a que la vie, une explosion de chaque seconde à jamais renouvelée, découverte permanente de tout ce qui respire, bouge, frémit, bande, éructe et puis un jour nous apprenons l'immobilité, le froid, la raideur, la décomposition. C'est le petit chat qui meurt, c'est un oiseau qui tombe du nid, c'est le petit chat qui bouffe l'oiseau, un chat qui tue une souris... Et puis tout n'est pas si simple. Nous découvrons alors petit à petit la complexité des choses... Un chat tue un oiseau ? C'est un chat salaud, c'est un sale chat alors qu'un chat qui tue une souris, c'est un chat, simplement un chat, c'est naturel, c'est la "normale".
Qu'un chat torture une souris, c'est naturel, c'est dans l'ordre des choses mais que je torture ma petite sœur, c'est vilain pas beau !

Un chauffard en voiture, c'est un tueur, un criminel, alors qu'un mec qui en tue un autre à la guerre, c'est un héros ! Mais attention, pas tout le temps. Il y a des nuances et c'est important les nuances !

Celui qui attaque un pays est un envahisseur. C'est un agresseur. Celui qui défend sons pays c'est un résistant. Un résistant uniquement pour ceux qui résistent, pour l'envahisseur et pour tous les autres ? C'est un terroriste ! J'y perds mon latin !

Enfant, on nous apprend la mort tout doucement. On nous épargne, on nous protège, on nous apprend tout doucement l'alphabet de la mort avec un "A" majuscule comme dans Arrière grands-parents. Avec notre arrière grand-père, l'unique jambiste, notre arrière grand-mère catarrheuse et puis c'est au tour de grand-père "Pépé n'a qu'un œil", de l'arrière grand-oncle, de l'oncle des fois même ?... Des vieux, quoi... Ceux des déambulateurs à roulettes, ceux des cannes blanches, ceux des "donne-moi la main, pépé", surtout pour traverser...

Dans l'ordre des morts il y a une chronologie à respecter. Les vieux d'abord. C'est normal, la normale, toujours la normale... Des fois c'est le papa ou la maman mais alors c'est un accident. C'est un petit frère que l'on ne connaissait presque pas... On n'a pas vraiment eu le temps de faire connaissance avec ses 2 ans et 6 mois à peine...

Après les "il a fait son temps", c'est au tour des "si c'est pas terrible de partir si jeune ?"... On nous apprend la mort avec douceur... "Y sont partis pour un long voyage et y ne reviendront jamais"... C'est où, "Jamais" ? C'est quoi, "jamais" ? C'est un pays d'où l'on ne revient pas... Oui, mais, pourquoi ? Des fois le pays d'où on revient jamais c'est "une salope" ou "une fille facile"... De toutes façons c'est toujours de la faute à la salope, à celle qui est partie ou de celle qui a enlevé le mari aimant de la conne qui est restée, car c'était toujours un mari dévoué et aimant l'homme qui part... Et elle, toujours une salope... Une conne parfois...

Chaque jour qui passe nous apprend la mort un peu plus. La mort s'approprie notre espace chaque jour un peu davantage. Comme des objets non identifiés, comme des objets célestes qui nous tomberaient dessus comme un orage qui gronde... Vlouf ! fait le mort qui tombe loin derrière, là, à gauche... Ils nous perturbent si peu ces bruits mous de fin de vie... Et puis, à force d'à force, ces bruits claquent plus clairs dans l'air plus froid des jours qui passent... Là ! devant ! légèrement à droite et puis derrière, juste à gauche... Manqué de peu... Et puis un autre encore et puis un autre... Le stress nous étreint du bout de nos inquiétudes, comme une vieille habitude lointaine... Ils sont maintenant précédés d'un sifflement lugubre précurseur de la mort, annonciateur d'une fin qui passe au son des fers d'un vieux cheval exsangue, gros grêlons qui tombent... Toujours plus proches de nos proches, plus proches de nous... Là une amie, trou de bombe, là un cousin, trou de tombe... Parfois un chapelet... Tout un pan de famille disparaît dans le bruit familier d'un chapelet de tombes qu'on égrène... Une rafale de morts... Et toutes celles que l'on lit, celles qu'on ne voit jamais, tellement éloignés, là-bas, derrière les montagnes, derrière les océans d'indifférence, derrière les vallées...

Génocide, pogrom ! Attentats, raz-de-marée, nettoyages d'avant l'été, canicules tueuses de vieux par milliers... Pourtant, on continue, nous errons parmi les trous de mines, plus courbés qu'avant. Et ces bombes sifflantes aux impacts multiples qui se rapprochent... Ces tombes qui sombrent, qui nous cernent, qui nous arrachent à celles que nous aimions... Et encore, nous ne parlons pas de la mort dans les guerres ?

Pas même au combat ! Non, juste dans la rue de chaque jours avec ce type là-bas, là-bas parmi mille fenêtres aux vitres brisées, l'œil vissé à son fusil à lunette... Il attend, calme, serein, son doigt comme un doigt mort sur la gâchette... Petite fillette jolie je te baise... Et le doigt presse la gâchette et la gâchette s'enfonce... Et clic fait la gâchette ! La détente infinie du temps. Le mécanisme accélère lentement. La culasse glisse en avant, le percuteur percute la douille, détonation sèche, le canon aboie la mort, la douille actionne la culasse, elle s'éjecte, joli bruit, cling ding fait la douille qui rebondit et dans le rond de la lunette borgne la petite fille trébuche sur le néant, jolie fleur de sang qui s'étale, pétale... Pincement au cœur de la satisfaction du travail bien fait... Pendant ce temps tu cours ! Tu cours à la chamade et ton cœur bondit à grandes enjambées ! Ca n'était pas ton tour... Un autre fois peut-être ? C'est con pour la gamine, merde ! Tu te dis que tu penses déjà comme un vieux... Tu as neuf ans à peine...

Pèsent les ans chaque jour un peu plus. On rapetisse alors que les enfants grandissent comme grandissent les champignons vénéneux... Nos douleurs multiples nous rappellent qu'on est encore vivant... On louvoie entre les trous de tombes encore fumants... La main sur la canne qui tremble... La canne ?... La main ?... Et puis, alors qu'on n'y prend garde c'est notre corps mou qui fait un bruit de tombe qui sombre dans l'océan de l'indifférence qui nous engloutit.

Montricoux le 30-04-2006

PS : Un seconde à 5 ans vaut une année pleine à 60 ! Et pourtant, échangerions-nous 10 ans aujourd'hui pour 10 secondes d'enfant ? L'enfance, l'éternité, cette éternité qui s'amenuise au fil des années qui passent...

Pedro le Voyard

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