Non, j’veux pas y aller !

 

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« Poussez ! Allez, poussez ! » Putain ! déjà qu'il m'ont perdu les eaux du bain ! Je m'arque boute ! Bien placer mes épaules afin de bloquer le passage ! Bordel, y'a rien pour s'accrocher dans ce bastringue ! Aux grands maux les grands remèdes ! J'attrape le tuyau de mon scaphandre très autonome et y vais d'un tour, de 2 tours et d'un troisième autour du cou ! Il se tend, je m'y arque boute, m'y agrippe ! Ça m'étouffe un peu.

 

« Respirez... » Mon cocon se desserre un rien, j'en profite pour reculer de quelques centimètres, c'est toujours ça de gagné. Me placer un peu plus en travers...

 

« POUSSEEEEEZZZZZZ ! POUSSEZ ! POUSSEZ ! POUSSEZ !… Respirez… » Le merdier s'accélère ! Un truc monstrueux rentre dans mon antre, c'est comme un poulpe énorme blanc crémeux... Ce machin me triture, il me fait mal, le con ! Il essaye de me tourner ! je le frappe ! Après quelques efforts vains pour me détordre et me désemmêler, l'énormité se retire sans combattre ! Bruit de succions, alerte à la dépression atmosphérique ! Ca va me péter les tympans ! Je déglutis comme un malade !…

 

« Je suis fatiguée » dit la voix, et une autre gutturale : « Reposez-vous un peu » La voix respire plus lentement, je récupère un chouia... Et puis soudain ? AHHHH ! C'est inhumain ! Le toit de mon cocon se déchire ! Une lumière crue m'inonde, un rond soleil blanc m'éclate les yeux, et le froid ! Putain ! le froid ! j'ai froid ! il fait si froid ! Je ne claque même pas des dents… Je n’ai même pas de dents !… et puis ce bruit infernal de BIP ! BIP ! BIP ininterrompus qui s'entremêlent, se superposent en strates indissociables d’un mix brouillon ! Ces mains glacées énormes et violentes ! ces machins masqués ! Clang ! Ils me déposent dans le berceau d'aluminium d'une balance... « … il est vraiment petit ! » J'ai froid ! Ces folles inhumaines tchatchent comme si je n'y étais pas ! Comme s'il ne s'agissait pas de moi ! Je passe de mains en mains sans aucune douceur, sans aucune tendresse, sans aucune émotion, sans aucun attachement autre qu'au geste précis. La voix s'éloigne ou on m'éloigne de la voix... de « ma » voix… On me dépose, me transperce, me raccorde à des tuyaux d'aliments prédigérés, referme sur moi le couvercle translucide d'une couveuse... je baigne dans de la lumière crue ! Dans l'absolue solitude ! Ou est donc la douceur, la chaleur de mon cocon, la tendresse, l'amour de « ma » voix ? Putain, mais c'est ça le monde ? Bordel ! Mais c'est ça la naissance ? C’est ça la vie ? Ca n’était vraiment pas la peine de me déranger pour ÇA !...

 

Pedro le Voyard…

 

Toulouse le 25-11-2001

 

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