Splaoutch !...
J'en ai vu un ! Un signataire de la
matrice, vous savez ? La Matrice !...
Beau et con comme un 35 tonnes ! Et
ce putain de TGV qui roule la mort !
Qui s'affole, s'emballe ! A cette vitesse,
un poteau traverse le wagon sur toute sa
longueur en moins d'un quart de seconde !
Le wagon vibre de toutes ses structures
et personne ne vomit ! Aucune terreur
apparente ! Pas même une crispation,
un rictus ?
Je ne vois même plus les poteaux passer !
Ils sifflent l'air matutinal comme un coup
de fouet vipérin. Des villages apaisés
tremblent à l'ombre de leurs tilleuls,
et ce con intégral qui se la joue
"Matrix" sur écran géant
coins carrés, blaireauphone à
la main, casque sur les oreilles que chaque
entrée dans un tunnel me détruit !
Ce con phénoménal prend des
mines, des poses, grimace des expressions
hasardeuses, il est content et du progrès
et de sa béatitude... Ou plutôt,
techno attitude !...
Le train s'enfonce dans la terre à
nouveau dans un WOOM ! explosif ! Merde,
mes oreilles ! Et l'autre nain ? Il
est content le nain, il commente !
Cligne d'un oeil, puis de l'autre, louche
sur son blaireau comme s'il allait lui parler,
que même, il lui parle... En fait,
c'est un type content de lui, de cette société
dans laquelle n'est bon que ce qui brille,
cette société d'argent et
du pouvoir de l'argent, et il en aura de
l'argent ! Il se le promet, se scarifie,
bois son sang, se signe et jure ! A
défaut d'en avoir, il a déjà
le look de ceux... Il voyage, il communique
mais pas avec ceux que l'on croit !
Il n'est pas là en fait, il téléphone
ou fait comme si... Ca lui donne de l'importance
à ce branché de partout, ce
communiquant universel comme une prise,
comme la pince...
Lorsque tout à l'heure il retrouvera
sa Golf turbo-diesel 16 soupapes, gros pot,
petite bite, le blaireauphone toujours vissé
à l'oreille, il déclenchera
à distance l'ouverture centralisée
de ses portières, signe indéniable
de son pouvoir surnaturel, de son importance,
de son omnipotence… Et le train va de plus
en plus vite que c'est à se demander
jusqu'où s'arrêtera-t-il, effileur
de paysage, déchireur de paix des
sages…
Et puis le TGV flâne, musarde après
nous avoir explosé les oreilles à
répétition !
Tu t'offres un billet de "Bleu de peur"
en GV et en fait, tu voyages en PV !
Et même en TPV Très Petite
Vitesse)… Je me remémore les trains
de mon enfance qui faisaient "taklong !
taklong !" comme des femmes qui
baisent... Dieu que c'était érotique
et langoureux ces taklongs qui lancinaient...
Ca y est, il accélère, oh
non ! Ne le laissez pas accélérer !...
je me médicamente le cœur, on ne
sait jamais...
Nous venons de croiser quelques fermes éparses...
J'imagine le bordel lors de chaque passage
de train... Cinquante mètres à
peine et quelques milliers de tonnes lancées
à 360 km heure ! Les vaches
vêlent des taureaux hirsutes des quinzaines
en avance. Les veaux ont les yeux bleus
qui convergent, des femmes mettent bas en
désordre, gesticulant quelques fétus
obèses. Les chiens aboient !
Ca y est, il tressaute ! TGV à
nouveau. Pourvu qu'aucun bovidé ou
moche d'ailleurs, ne traverse ! Et
encore moins un camion citerne, si terne
mais parfois flamboyant !...
C'est monstrueux, nous traversons des villages
dont les fermes s'étirent comme des
chattes lascives. Les vitres volent en éclat...
Les enfants hurlent attachés à
leur lit... Du soleil dans le sud... Pour
le moment, c'est pire, ça sent pire,
le brouillard met bas. Je suis vert du nombre
de fermes et de villages que nous traversons
de l'intérieur, juste là,
à peine, tout près... Des
havres de paix réduits à néant,
détruits à jamais. Putain,
ce con de conducteur de train qui nous prend
des virages sur deux roues à 300
passé ! Nous croisons des fermes
adorables que nous entrevoyons à
peine, la cheminée toute de guingois...
Une pouliche pleine fait un saut périlleux
arrière, salto croisé, larguant
ses eaux en l'air comme un geyser hélicoïdal
lumineux et gluant ! Adieu, veaux, vaches,
cochons, couvées... Nous parvenons
au point de non-retour, au point de fusion
totale, absolue, point de désintégration,
point de passage en hyper espace... Ca y
est, il fait soleil ! Adieu, amis,
camarades, mes frères, je vous ai
tant aimées... Apnéee...
Splaoutch !...
Pierre Voyard
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